mercredi 15 février 2012

Parfumisteries

(À J.C., V.M & J.J.B.)

Trois jolies jeunes femmes.

Elles sont sans nom, puisque qu'elle ne sont que concept dans les yeux de bien des hommes.

J, V, JJ.

Dans le regard masculin, elles sont la femme décorative, dans le plus pur esprit des années 60.

Le magasin où elles posent à leur kiosque de parfum est construit dans le style des années 60. C'est une thématique de l'endroit, sa couleur, son style. Il s'agit du magasin Sixties. Mais les trois filles sont bien des femmes de 2012. Elles vendent du parfum à qui voudrait bien en acheter. Officiellement en compétition puisque vendant des produits différents, pour des grandes maisons différentes, elles sont toutefois bonnes amies.

On leur demande d'incarner le style des années 60 à leurs comptoirs. Il y a même un vieux jukebox dans le coin du café dans le magasin à rayon.

J, l'ainée qui n'a pas 40 ans, est d'une beauté stupéfiante. Elle pose généralement dans les tons de bruns, elle a d'ailleurs les cheveux bruns. Quelques fois, ceux-ci sont frisés. Mais la plupart du temps, elle garde ses cheveux naturellement tombés sur les épaules. Elle est la dernière à être entrée dans les rayons des parfums. Pas qu'elle n'y avait jamais travaillé mais elle le faisait ailleurs, dans une autre région, pour un autre employeur. Elle a changé de poste quand elle a eu pour amoureux un humoriste très connu. Elle avait alors déménagé pour se retrouver plus près de lui mais il l'avait presqu'aussitôt largué. Elle aurait dû se douter que cet humoriste se serait servi d'elle comme les clients masculins se rincent l'oeil à son kiosque.
Les trois filles sont si jolies que les clients masculins font souvent semblant de s'intéresser à leurs produits en cachant leur réèl motivation plus axée sur le flirt. Les  patrons ont vite compris. Le désir vend. Ils ont placé les trois filles dans l'entrée du magasin. J s'est toujours promise de ne jamais céder aux avances d'un client. Les fragrances qu'elle vend sont les plus coûteuses, les italiennes. Elle a donc plus de maris, souvent plus riches, qui lui demandent de faire un choix à leur place. Pour leur femme. Il n'y a rien de charmant là-dedans. L'homme est marié et J garde alors pour elle sa ligne "vous savez toutes les peaux ont des odeurs différentes, l'impact de cette fragrance sur la peau de votre femme ne sera pas la même que celle sur votre peau ou même sur la mienne". Elle se prête toutefois au jeu de poser sur elle certaines fragrances pour que ces hommes l'hument sur elle. Elle sait qu'elle leur fait plaisir en les laissant se pencher dans son cou ou sur son avant-bras. Cette proximité doit leur procurer la sensation de s'être rapproché davantage. La vente est presque toujours assurée dans ses conditions. Ses ventes sont trop bonnes, les commissions trop importantes. Rarement se sent-elle en insécurité face à ses ventes. Juste en amour, se sent-elle quelques fois, incertaine.

V est aussi fort jolie. La plus ancienne au rayon des parfums, elle se trouve au centre des kiosques des deux autres. Faussement blonde, elle sait exactement l'effet qu'elle produit sur les clients. Les femmes sont rassurées par sa beauté qui semble naturelle, par son expertise qui lui confère un air maternel et par ce côté sexy retro qu'elle assume pleinement. Belle comme ça, on est mère à 35 ans. Ce que V est. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir l'air d'une jeune fille dans ses petites robes d'été. C'est sa bouche et ses yeux qui attirent d'abord les regards mais ses cuisses sont aussi fort attirantes pour l'oeil du mâle d'Amérique. Elle sait en jouer sans jamais paraître putassière. Le style des années 60 commandé par la magasin lui va fort bien et elle en est ravie. V est celle des trois qui s'est le mieux intégré au style sixties. On savait qu'elle avait trouvé son rôle et n'en chercherait pas d'autre. Comme c'était elle qui tenait un kiosque dans ce magasin depuis le plus longtemps, c'était elle en quelque sorte, le coeur du trio. C'est elle qui bravait la route que les deux autres appelaient "du chemin de fer du viol" quand elle se rendait au travail. 

Une rumeur voulait qu'une série de viols eut lieue dans ce secteur mais comme on situait la rumeur dans les années 60, et que V, par obligation de travail était elle-même costumée comme dans les années 60, elle trouvait ses hasards un peu trop fortuits et ne croyait la rumeur en rien. Cet acte jugé courageux par les deux autres lui avait gagné beaucoup de respect. Amoureuse depuis longtemps, maman de deux enfants, elle semble avoir atteint dans la vie la plupart de ses objectifs. Travailler à son kiosque lui donne la chance de lire à l'occasion (en cachette) et de poser comme le mannequin qu'elle avait toujours secrètement rêvée d'être.

JJ est la plus jeune. Pas encore 30 ans. La plus mélancolique aussi. Souvent c'est elle qui remetterait en question toutes les politiques de la maison de parfum qui l'engageait. Si l'une d'entre elle devait quitter son poste sur un coup de tête c'est JJ qui l'aurait fait. Elle peut quelque fois plonger dans une "zone" qui lui est bien à elle. Les deux autres savent quand la laisser tranquille quand elle tombe dans la lune avec ses beaux yeux tristes.
Les deux autres la voit comme la petite soeur instable du trio. Très très jolie elle aussi, elle se rend souvent au Jukebox près du café pour y mettre sa musique préférée. Elle se joue régulièrement dans les cheveux, convaincue que ceci ajoute à son charme. Elle est effectivement très charmante. Un croisement entre Marylin Monroe et Elizabeth Montgomery, l'actrice qui jouait Ma Sorcière Bien-Aimée. JJ avait été l'initiatrice de ce voyage en camping à trois filles dans le Massachussets où, bien qu'en couple au Québec, les trois filles avaient rencontrés trois beaux jeunes hommes sur place avec lesquels ils avaient partagés un feu de camp (et rien d'autre) bien que l'un des trois garçons se soient montrés plus insistant que les deux autres à vouloir aller marcher dans le bois le soir avec elle...On s'était entendu pour une marche au matin près de la mer mais sans plus. Elle était brune à l'époque et s'était demandé si cette couleur ne lui allait peut-être pas mieux. Elle avait aussi été tentée par le jeune homme et ceci l'avait légèrement bouleversée. Était-elle franchement en amour au Québec? Une simple marche sur le bord de la mer un matin à Hampton Beach la faisait verser dans la mélancolie.
JJ était probablement celle des trois qui vivait le moins bien avec cette idée de concept proposée par le magasin. Bien entendu les ipods et les téléphones intelligents sont interdits sur son lieu de travail, femme bien ancrée dans les années 2010, elle se sent menottée à son kiosque. Kiosque qui se trouvait aussi à être le plus éloigné tandis que les deux autres se faisaient face.

Voilà 8 ans que JJ et V se côtoient et 6 que les trois femmes travaillent au même endroit dans le bonheur. Il y avait toujours eu foule. Surtout les week-ends. Elles ne voyaient pas leur journée passer ces jours-là. Elles chérissaient les lundis, mardis mercredis, beaucoup plus tranquilles, ce qui leur donnait la chance d'errer et de papoter davantage pendant que les patrons calculaient les caisses du week-end ailleurs ou dans les bureaux.

On peut dire que les trois filles avaient une bonne chimie entre elles. Elles étaient toutes d'une beauté racée. Le jeune trio parmi les employées plus anciennes ou plus matantes, voire grand-maman.

Toutefois,ce jeudi-là, c'est le grand patron de la chaine de magasin qui a lancé un appel à la restructuration. C'était pas du jargon de 1960, ça voulait dire "on ferme".

Les trois poseuses se sont regardés une dernière fois, ont eu les yeux pleins d'eau et ont compris.

Il n'existeraient plus l'une pour l'autre que par le passé.
Rien à craindre, elles étaient jeunes, belles, et désirées.
Elles avaient été imperméables aux échecs toute leur vie, ça ne commencerait pas aujourd'hui.

Il faudrait maintenant poser ailleurs.
Pour de nouveaux secrets admirateurs.
Dans une vitrine peut-être aussi datée.
Jeunes, belles et désirées.

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