mardi 6 octobre 2009

Paniers percés Allemands


C'est une histoire allemande.

Une sale histoire allemande.

D'un peuple qui aura vécu toutes sortes de merdes au travers des âges.

Meilleur film étranger oscarisé à Hollywood l'an dernier, La Vie Des Autres le film de Florian Henckel von Donnersmarck n'a pas été, pour son principal protagoniste, un film comme les autres. Il connaissait bien le sujet. La RDA, la Stasi et l'histoire de ce petit pays sont une part de sa vie. Une part d'ombre dont il se serait bien passé. Le succès du film a relancé le débat sur les moyens d'oppression de la dictature est-allemande. Le film fait aussi un incroyable écho à la vie de son principal interprète.

Ulrich Mühe campe de façon saisissante le rôle de Gerd Wiesler, un officier de la Stasi, la police secrète, chargé d'espionner une actrice célèbre et son compagnon. Georg Dreyman est un dramaturge sans histoire, en phase avec le régime. L'appartement des deux victimes, criblé de microphones, est directement relié à un studio d'écoutes installé sous les combles. Wiesler les espionne jour et nuit, jusqu'au lit. Armé d'écouteurs et d'une petite machine à écrire, il remplit inlassablement des pages de rapport dans le curieux jargon de la Stasi.

Wiesler juge la mesure justifiée : les artistes sont par nature suspects à ses yeux. Jusqu'au jour où il comprend qu'il est l'objet d'une machination abjecte : le ministre de la Culture, Bruno Hempf, n'a commandité ces écoutes que pour obtenir la chute de Dreyman et les bonnes grâces de Christa-Maria Sieland, l'actrice qu'il convoite.

Comme des millions de ses concitoyens, Mühe, l'acteur, a vu ses faits et gestes espionnés pendant des années par la police politique est-allemande. A la chute du Mur, les archives de la Stasi représentaient 180 kilomètres de dossiers, reçelant les informations les plus banales («A quitté son domicile à 6 h 45. Retour à 16 h 30») et les pires trahisons. Les premières pages du dossier de ce comédien célèbre remontent aux années 70. Il est alors étudiant à l'école de théâtre. A la lecture de son dossier, l'acteur découvre comment ses camarades, puis ses collègues de théâtre et jusqu'à la quasi-totalité de ses voisins l'ont espionné avant de livrer leur maigre butin à la redoutée Stasi.

On ne parle plus du film ici, on parle de la vie du comédien!

Son ex-femme, Jenny Gröllmann, sans jamais livrer d'informations sur lui, aurait été, elle aussi, une indic de la Stasi, une «IM» (Inoffizieller Mitarbeiter), sous le nom de code de «Jeanne». L'affaire fait grand bruit à la sortie du film La Vie des Autres en Allemagne. Mühe, appuyé par la BStU (l'administration chargée depuis 1991 de la conservation et de la gestion des dossiers de la Stasi), est convaincu de la culpabilité de son ex-épouse. Deux historiens, Jochen Staadt et Tobias Voigt, autorisés à lire les quelque 500 pages du dossier de l'actrice, confirment le soupçon. Mais Jenny Gröllmann, très populaire à l'Est du temps de la RDA, se tourne vers la justice. «Mon nom a été traîné dans la boue», s'insurge-t-elle. Elle plaide que son dossier a été inventé de toutes pièces par la Stasi. En juillet 2006, un tribunal de Berlin admet qu'il existe des «motifs de suspicion», mais, faute de preuves, interdit à Ulrich Mühe d'accuser Jenny Gröllmann d'avoir été une IM. L'actrice est depuis décédée, en août 2006, d'un cancer.

Aujourd'hui, les spécialistes continuent à s'affronter sur le dossier Mühe-Gröllmann, symbole des déchirements de la société est-allemande après la réunification. Ceux qui ne voulaient pas collaborer avec le régime en avaient les moyens. On sait aujourd'hui que la moitié des personnes que la Stasi a approchées pour leur proposer de collaborer ont refusé. Et ceux qui refusaient ne risquaient pas grand-chose. Ils s'entretenaient de tout ce qui leur pesait avec leur prêtre. Après, on les laissait tranquilles.

Le parti communiste est-allemand, la SED, a survécu à la chute du Mur dont on fêtera bientôt le 20ème anniversaire. Depuis, il contribue largement au discours actuel, qui veut que la dictature communiste en Allemagne n'ait pas été "si dramatique". Le simple fait que de nombreux ex-fonctionnaires du régime et d'anciens collaborateurs de la Stasi occupent toujours des positions politiques de premier plan contribue à présenter le régime est-allemand comme un moindre mal.
Régulièrement, de nouvelles affaires viennent rappeler que «les coupables sont parmi nous». La récente rencontre préparatoire des ministres des Finances du G8 s'est tenue chez un ancien informateur de la Stasi reconverti dans l'hôtellerie de luxe. L'hebdomadaire Der Spiegel vient de révéler que le président de la chambre de commerce et d'industrie de Magdebourg, homme aux multiples casquettes (conseiller du ministère régional de l'Economie, membre du conseil de surveillance de la banque d'investissement de Saxe-Anhalt...), a collaboré avec la Stasi de 1986 à la chute du Mur. Le monde du sport, l'un des anciens piliers du régime, regorge de cas. Les vice-champions d'Europe 2006 de patinage se battent pour conserver leur entraîneur, Ingo Steuer, que la Fédération allemande de patinage veut limoger à cause de son passé à la Stasi.

De fait, l'Allemagne est loin d'avoir achevé sa «déstasification». Aux yeux de certaines victimes, le pays réunifié aurait même délibérément évité de fouiller dans le linge sale de l'ex-RDA, au nom de l'unité nationale.

Le refus de reconnaître ses torts de la part des anciens de la Stasi, de demander pardon rend toute réconciliation impossible. Aujourd'hui, ce qui domine dans la société est-allemande, c'est un silence agressif. Situation similaire à celle de 1945après la défaite du IIIe Reich, observe Mühe. La population ne peut pas changer . Du temps de la RDA, il y avait autant de victimes que de coupables... Ils doivent maintenant apprendre à vivre ensemble.

Dans ce contexte, La Vie des Autres et son héros presque sympathique ont rouvert les anciennes plaies, ravivant le débat autour de la Stasi, faisant même renaître, pour certains Allemands de l'Est, la question de la culpabilité.

Pour le cinéma ce film est grandiose, magique.

Et je n'ai même pas glissé une parenthèse sur l'exceptionelle trame sonore de Gabriel Yared.

Indispensable morceau de 7ème art.

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