(à J.)
À Aaron City, ils étaient entre 20 et 30 chaque dimanche soir à se réunir à l'ancien garage du père Joël.
La plupart entre 20 et 35 ans. Mais dans leurs têtes ils en avaient tous 14.
Mila était parmi ses gens. C'était d'abord son amie Isabelle qui l'avait entrainée là. Isa avait un frère humoriste dont la carrière venait de prendre un très sérieux envol et elle avait profité d'un nouvel entourage peuplé par la soudaine célénrité de son petit frère. Elle avait entrainé son amie Mila dans ses rencontres du dimanche soir où la testostérone atteignait des sommets inégalés de virilité. Une virilité séduisante aux yeux d'Isabelle en tout cas.
Mila, pour sa part, n'était pas 100% convaincue.
Oui, dans un groupe entre 20 et 30 personnes, il y avait de très jolis garçons, mais dès que ceux-ci prenaient le volant pour faire des courses derrière la ferme de M.Bernard, ils perdaient tout leur charme. Les élans juvéniles qui les faisaient écraser la pédale de l'accélérateur, rouler leurs roues de manière incongrue fouettant le sable en forçant la cervo-direction; voir ses amies, Isabelle qui trônait au coeur du lot, hurler comme des coyotes quand les boyz coursaient les uns contre les autres...non, ce type d'immaturité ne la séduisait pas du tout.
Alors pourquoi Mila continuait-elle à se rendre à ses courses de chars de fin de journée? Pour le côté Facebook de la chose. L'impression d'appartenir à un clan. Un clan d'initiés qui pouvait, quelques dimanches soirs, se placer au-dessus des lois et rouler à tombeau ouvert...non...encore là...s'identifier à ce gens trop longtemps lui faisait ramener la raison. Idiots étaient ces chauffards du dimanche qui avaient si peu d'envergure dans la vie de tous les jours qu'ils avaient besoin de se doter d'une machine et de faire crisser leur pneus dans le désert d'Aaron City. Il ne s'agissait plus d'hommes mais bien de petits gars. Qui avaient besoin de faire péter des pétards, de faire du bruit et de la bouettte pour se rendre intéressants.
Mais étrangement, Mila se sentait pour sa part, plus femme encore lors de ses rassemblements. Parce qu'elle ne criait jamais comme une cheerleader quand les voitures partaient dans la poussière, parce qu'elle se contentait de jouer du regard vis-à-vis des chauffards, parce qu'elle se sentait la mère de tous ses enfants, même si elle n'avait que 25 ans...
"Hey Mi! T'as jamais été flag girl!" a hurlé Isa vers Mila. Effectivement, de toutes les femmes sur place, Mila, était assurément la seule qui n'avait jamais été la fille au mouchoir donnant le départ entre deux petits garçons. Des petits garçons, c'est ainsi qu'elle les voyait, n'étais-ce pas tout le contraire de la testostérone? Ceci expliquant cela, c'était surement pour cette raison qu'elle ne s'était jamais senti le besoin de jouer la femme fatale derrière la grange de M.Bernard, avec au bout des doigts un mouchoir inspirant je-ne-sais-trop-quoi à ces fous du volant.
"Viens ici, baby, et viens montrer ton haut de bikini!" a crié Isa, la voix habillée d'une ivresse habituelle lors des ces soirées animée de bruits et de fureur. La référence au haut de bikini, costume estival habituel pour mesdames sur les terrains de course, voulait signifier que les filles qui jouait du mouchoir entre les chars se fassent sexy, chatte, Scarlet Johansson pour les smattes. Mila l'avait comprise. Et malgré le mépris que lui inspirait de plus en plus ces soirées, lentement, elle se sentit poussée par le vent...
Laissant tomber son manteau malgré le froid, elle marqua le pas avec un regard de jaguar. Elle répondit à l'invitation d'Isa, saisit la mouchoir rouge qu'elle lui tendait et se plaça entre les deux voitures sous les cris animaux des gens autour. Elle prit une position assumée de guidoune en se disant qu'elle le ferait une seule fois et que ça s'arrêterait là.
Elle goûta pleinement aux cris des gens autour et on fit un décompte, pendant que les deux morons dans leur bagnole jouaient de l'accélérateur en observant le bras en l'air de Mila, peut-être même un peu de sa brassière qu'elle avait rendu visible pour les distraire. Mila fît exprès pour faire durer le moment et la tension était à son comble avant qu'elle ne baisse le bras tenant le mouchoir, indiquant le départ de la course.
Mila disparut dans la poussière de sable et ses cheveux devinrent fous et en bataille, comme luttant contre son crâne. Cet effet de foule l'avait parfaitement grisée.
Mila venait de goûter à la testostérone.
Mila se sentait prête,
à retourner sa veste.
Elle allait repenser son statut dans le désert des dimanches soirs et se réinventer, sauce sexy, dans le zoo d'Aaron City.
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