Un garçon de l'Ohio devenue idole d'ados dans un trio des années 60, trois frères qui n'en étaient pas. Walker est passé d'un auteur de musique pop à fantôme, disparaissant de l'oeil public, avant de réémerger dans les années 90, avec quelques compositions expérimentales saluées par la critique. Des expérimentations incluant des bruits de hachoir à viandes et de pets.
Ses sons ont cessé de se créer la semaine dernière.
Il est facile de voir sa carrière comme une série de départs et de recommencements, mais il serait plus juste de choisir d'y voir plutôt une continuité. Ce n'est pas seulement pour honorer un titre de Walker qu'un documentaire sur lui s'est appelé "30th Century Man". Avec le temps, c'est même devenu fort approprié. Entre 1969, année de la création du morceau, et Vox Lux, sa dernière création (satirique), en 2018.
La voix de Walker était celle d'un crooner d'un ton si profond et épais comme le sirop d'érable, capable de phrasé étiré sur de longues syllabes. Au début, il capitalisait sur ce style vocal, charmant et accessible, puis, par la suite, utilisant cette même voix afin d'en exploiter l'étrangeté. Il devenait...OVNI.
Fataliste avant l'heure fatale. Et toute sa vie.
Fataliste avant l'heure fatale. Et toute sa vie.
Les Walker Brothers ont été si populaires, en Angleterre surtout, qu'ils ont rivalisé, ne serais-ce que brièvement, avec les jeunes Beatles de 1964. Mais déjà, on pouvait sentir, sous les platitudes chantées ("Loneliness is a cloak you wear/A deep shade of blue is always there") que le vernis craquait. Une chanson racontant un chagrin d'amour, dans le moule Walker, devenait apocalyptique. Pathétique. Trop mielleuse. Gluante. Ziggy Stardust s'imolant sur scène dans un suicide rock'n roll.
Les frères Walker se sont séparés à la fin des années 60, Scott a ensuite fait une carrière solo. Une épopée faisant traîner sa suave voix, qui allait inspirer quelqu'un comme Bowie justement. Sa grave voix de baryton laissant une marque impressionniste et lourde sur chaque chanson. Comme de la melasse sur du pain blanc. La fille de la rue du coin tremblerait comme une feuille. Les saisons deviendraient veloutées ou inconfortables, ce serait selon. Il serait à la fois grave, profond, existentiel, poétique, surréaliste, politique, osant même braver la mort comme l'avait fait le grand Ingmar. Un traité cinématographique sonore et musicale comme une voix de l'enfer pour les étudiants de cinéma que nous étions dans les années 90. Un sens biblique de l'inévitable.
Scott Walker a toujours semblé faire un pas de côté afin de commenter l'histoire qui se jouait devant lui. Comme cet hymne baby-boomer en référence à ce qui se passait politiquement en Tchécoslovaquie.
L'impulsion fasciste, comme Bowie encore, jumeau difforme, et les outils du sadisme et de l'humiliation l'ont clairement fasciné. Après des albums plus conventionnels dans les années 70, albums qu'ils désavoueraient par la suite, il glisserait dans les rêveries lugubres, les atmosphères draculiennes. Vous croyez que ça ne séduirait pas un vampire comme moi? Dans les années 80, il combinerait étincelles de jazz et verve de poésie sado-masochisme. Des efforts hypnotiques qui dérangeaient plus qu'ils ne plaisaient en général. Plus près du Nine Inch Nails en musique ou du David Lynch en film que du roi de la pop ou de la reine d'instagram.
Sa voix sombre était un rempart contre les déserts sonores. La dégradation humaine et morale pouvait soudainement atteindre une forme de beauté. Nick Cave y puiserait possiblement du sien chez Walker. .
Scott Walker, mêlait sucre et poison avec audace avec l'âge.
Décédé à l'âge de 76 ans cette semaine, son fatalisme décadent aura été ce qu'il y a de plus consistant dans son oeuvre.
Que je me retape, sur Spotify,
Engel again.
C'est la beauté des artistes.
Ils ne meurent jamais vraiment.
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