dimanche 24 mars 2019

Ébène Amérique

Vu deux films en l'espace de 24 heures.
(Alerte aux divulgâcheurs)

Vendredi soir chez Jordan Peele,

Je n'avais pas 100% aimé Get Out. Son effort précédent. La première partie du film fonctionnait parfaitement, la chute, le dévoilement, la twist de la fin, pas du tout. Je riais alors que j'aurai dû être tendu ou effrayé. Le message devenait souligné au gros crayon feutre. Les blancs "brainwashent" les noirs".

J'ai étrangement retrouvé le même problème dans Us. Une fin qui fonctionne beaucoup moins que tout ce qui précédait. Qui était assez fameux. Comme si Peele était un extraordinaire créateur d'une première heure, mais ne savait pas comment terminer ce qu'il amorçait. La mise-en-scène est parfaite, le symbolisme intelligent, les idées ingénieuses, mais au niveau de la narration, de la cohérence narrative, ça s'effondre.

Pour la plupart des films, ceux-ci ne sont pas des casse-tête. Ne devraient pas. C'est de l'art, inspiré de la vie. Ils ont des aspects mystérieux qui peuvent mener à des réponses, mais si chaque film devait être solutionnés, le film en soi serait mort aussitôt... solutionné.
Plus intéressant encore sont les films (Mullholland Drive) qui ne demandent pas à être solutionnés, mais qui offre des états sujets à interprétations.
Dans le cas de Us, il est normal que nos pensées rationnelles veuillent vite comprendre comment fonctionnent les doubles dans la vie de la famille assiégée présentée à l'écran. Comment vivent ceux d'en haut et ceux d'en bas. Même Jordan Peele nous offre une sorte d'explication assez tôt dans le film. Mais se questionner sur le "comment" dans son film, c'est négliger le "pourquoi". Beaucoup plus important dans les films de Peele.

L'explication des doubles est insatisfaisante. Ils ont été cloné par le gouvernement, vivent dans des tunnels souterrains afin de contrôler la vie de leur double. Comment ça se devait se passer n'est jamais expliqué. Les doubles se nourrissent de lapins (source de vaste repeuplement) crus et le programme a vite été abandonné. Une nouvelle direction leur a été donnée par l'arrivée de "Red" qui a choisi de devenir leader d'une révolution des doubles, maintenant tous convaincus de tuer leur double sur terre, et de joindre leurs mains à travers l'Amérique, inspiré de Hands across America, événement réel s'étant déroulé en mai 1986.

Ce synopsis ne fait que soulever plus de questions. Comment les lapins sont nourris? Qui influence qui? Comment se sont-ils procurés des vêtements? Pourquoi ont-ils tous des ciseaux et où les ont-ils trouvés? Montent-ils hors de leurs souterrains pour y vivre dans la clandestinité parfois? Même si toutes ces questions avaient une réponse, ça resterait insatisfaisant puisque ça n'amènerait pas une valeur ajoutée au film. Le sous-texte nous semble beaucoup plus intéressant.

Pourquoi sont ils en uniformes orange? Parce qu'ils sont sans individualité. Sans âmes. Leur manque d'individualité se confronte à l'illusion de l'individualité de leur double, hors souterrain. Ce qu'il faut lire de son film est le parallèle entre nos relations interpersonnelles, comment nous présentons une politesse en surface, mais comment profondément (souterrain) dans l'anonymat (uniforme), notre côté sombre refait parfois surface et la violence fait rage. De l'intérieur ou pas. Et plus la violence sévit dans son film, plus la chaîne humaine, à travers les États-Unis prend forme. Unis dans la haine. Telle un réseau social en feu ou une section de commentaires sur la dérape, sans modérateur.

On peut critiquer Peele pour ce qu'il ne fait pas, mais on ne devrait pas manquer ce qu'il nous métaphorise.

Ce qu'il nous dit c'est que nos côtés sombres ne sont pas 100% compris. Ils sont tous existants et une fraction de nous-mêmes. La crainte commence quand elle sort du souterrain où elle devrait rester enfouie.

Us ce sont aussi les U.S., ("We're Americans" explique un double rancunier).
L'ennemi actuel des États-Unis, ce sont eux-mêmes.

C'est l'approche qu'il faut avoir pour apprécier son dernier film. Sans absolument y trouver une cohérence scénaristique 100% pertinente.

Samedi matin chez Spike Lee (et tiens...Jordan Peele à la production!):

En 1978, le jeune policier noir Ron Stallworth est assigné pour infiltrer, au Colorado, le Ku-Klux-Klan et d'approcher David Duke, danger public, fier blanc suprémaciste. Stallworth sera la voix au téléphone, un agent blanc, Flip Zimmerman sera le faux "Ron Stallworth" physique, infiltrant pour vrai le KKK pendant 7 mois et demi.

Lee a accepté de tourner l'adaptation du livre de Stallworth sous la condition qu'il puisse y placer de l'humour (ce qu'il fait très bien) et qu'il puisse aussi y dresser quelques parallèles avec la situation actuelle des États-Unis, à l'égard des noirs.

Son intro est fameuse. Il s'agit du tournage (et de ses ratés) d'un vidéo de propagande raciste de la part d'un suprémaciste blanc incarné par Alec Baldwin (un choix non innocent puisqu'il est celui qui incarne le président actuel à SNL). Tout en subtilité (ce que Lee n'a pas toujours été) une réaction de Baldwin  rappelle beaucoup une autre de Bill O'Reilly, démon déchu de la station haineuse Fox.

Le film est superbement tourné. Pendant le discours de Stokely Carmicheal, en début de film, une série de visage de gens noirs, qu'on appelle à se réveiller. Assez superbe.
Lee est habile à insérer des parallèles de la réalité de 2019 en évoquant les ramifications politiques de David Duke, ami de Donald Trump. Un policier de 1978 parle des possibles dangers de placer un homme comme Duke dans l'appareil politique, ce à quoi répond naïvement notre agent noir "Les gens ne seront jamais assez fou pour voter un gars comme David Duke comme président des États-Unis"

Well, they did.

Le Klan utilisait le film The Birth of a Nation jusqu'en 2002 comme film de propagande haineuse pour divertir leurs membres. Une vision rétrograde de 1915.

Le dernier 5 minutes du film nous amène à Charlottesville, à la mort de la jeune Heater H.Heyer à qui le film est dédié.

1985-2017
Les images sont bouleversantes.

J'en ai versé une larme.

Ce que j'ai vu c'était une fraction de l'Amérique.
C'était bien une partie de nous.
Une part laide et séduisante à la fois.
(qui dans les deux cas faisait aussi rire)


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