dimanche 2 février 2014

Bleus (ou Quelques Briques d'Amérique)

Blue Jasmine

Le dvd du film de Woody Allen a trainé pendant quelques jours dans le lecteur sous la télévision du sous-sol.

La musique du menu (on l'entend dans la bande annonce dans le premier 40 secondes) m'avait déjà gagné. Un petit beat jazz en loop qui me ramenait autour de 1981 à Sillery dans le restaurant St-Germain du Chemin St-Louis en famille.

Mais le film de Woody se déroule bien aujourd'hui. Et c'est l'une de ses plus belles qualité. Tout comme Up in the Air était tout à fait représentatif de son époque, avec les effets dévastateurs d'une crise économique qui frappait l''Amérique et le monde, le film de Woody traite aussi d'une certaine idée du succès social et de l'autre côté de cette médaille.

Cate Blanchett y est tout simplement sensationnelle. Du type "bonne à la Meryl Streep". Portant plusieurs masques dont la plupart ne tiennent pas la route bien longtemps. Dès la quatrième scène, on comprend que Jasmine est malade. Et Blanchett le livre très bien. Elle en est bouleversante. Au 15ème chapître, alors qu'elle confronte Alec Baldwin (aussi charmant que serpent), les larmes me sont montées aux yeux. Je reconnaissais des gens, des scènes...

Le casting de Patricia DiCerto et de Juliet Taylor est tout simplement parfait. Andrew Dice Clay (0:48 dans la bande-annonce) était une excellente idée. Sally Hawkins, (qui lui donne la réplique dans la même scène et qui est nommée, tout comme Blanchett, aux Oscars pour sa performance) est marveilleusement bonne, on y croit beaucoup, Louis C.K. passe rapidement mais y est très éloquent. Bobby Canavale et Max Casella (le petit Vinny dans Dr.Doogie... Canavale et Casella à 0:59 dans la bande annonce) sont aussi criants de vérité. Peter Sarsgaard et Michael Stuhlbarg sont tous deux brillants dans des rôles furtifs, mais importants dans la déconstruction du désordre mental de la Jasmine bleue, née Janet.

Car ce personnage de fille adoptée (soeur du personnage de Sally Hawkins, adoptée aussi, aux antipodes de ce qu'est devenue Jasmine.) se réinvente tout au long de cette heure 36 minutes. "Mes parents m'ont baptisé du nom de cette fleur qui prend vie une fois la nuit tombée" ment-elle à un courtisan. Mais Woody n'est pas innocent dans ses choix et effectivement, Jasmine se tient volontairement "in the dark" une bonne partie de sa vie. Et c'est ce qui la fera plonger dans l'abîme. Le fils de Jasmine, joué par un excellent (et très beau, diront mesdames) Alden Ehrenreich, la maudira pour ces décisions mais aussi pour celles qu'elle a refusé de prendre.

C'est un angle qui n'a pas été traité tellement souvent que celui de la personne qui choisit de "regarder ailleurs", lorsque le thème des escroqueries financières a été tourné en film. Et il est 100% d'actualité en 2013. Partout dans le monde.
Quand ce thème est dosé avec un brin de maniaco-dépression et le talent de l'actrice australienne, ça donne un des 10 meilleurs films à vie de Woody Allen à mon humble avis.

Et un fabuleux portrait d'une certaine Amérique tout à fait contemporain.

Blue Velvet

Le temps de digérer le premier film, j'ai ensuite revisité le film de Lynch, visionné une seule fois, et il y a plus de 20 ans.

Et je l'ai aimé mieux qu'auparavant.

Lynch est magique parce qu'il nous glisse dans l'inconscient. Chacun de ses films est un voyage dans nos cerveaux. C'est toujours une expérience existentielle troublante.

Dans Blue Velvet, tournée en 1986, il y a les lignes:
"It must be great"
"Yes but it's terrible too"

qui résument à la fois la vie en générale sur cette planète, mais aussi le coeur de l'oeuvre de Lynch. Après un décor de paisible banlieue Reagennienne, avant le premier 10 minutes, nous découvrons une oreille humaine dans l'herbe. À la fois parce qu'à la dixième minute c'est un homme portant des bretelles parce que son ventre est trop protubérant, tenant en laisse un minuscule chien dans la nuit qui nous attend, et à la fois parce que Lynch nous entraîne toujours là où on ne l'attends pas.
On attend une bataille et on découvre une femme nue.
On ouvre avec de la musique de film noir des années 50 et on glisse vers le jazz avant de finir avec du Roy Orbison.
On assiste au tabassage d'un personnage mais aussi à la danse d'une pute à temps partiel.

Kyle Maclachlan, avec la candeur de Snoopy, est littéralement "piqué" par sa propre curiosité. Facile pour moi de m'identifier au comédien qui allait fêter ses 27 ans sur le plateau de tournage. Laura Dern a un tendre 19 ans (mais joue deux ans de moins dans le film). Isabella Rossellini atteint la grâce de sa fameuse mère à quelques occasions dans ce film. Quand elle s'apprête à revoir son fils entre autre. Dennis Hopper était terriblement dérangeant, pas dans le film, car on oublie pas, spectacteur, que ce n'est que du cinéma, mais au quotidien alors qu'il criait haut et fort qu'il ÉTAIT Frank Booth, son personnage.

Oulàlàlà...sombre et terrible aveu...

Il y a autant de masques en banlieue qu'en ville nous dit David Lynch. Peut-être plus encore. Même la robe d'Isabella cache des secrets.

Le film introduit les rideaux rouges qui annonceront toujours un déséquilibre, ici et dans les oeuvres futures du futé réalisateur. C'est aussi l'introduction du feu qui chancelle au vent, animé par une chandelle.

"You're like me" dit le personnage de Hopper à celui de Maclachlan.
(photo)
Trou
blant.

Cette chronique du désordre de la banlieue est une autre brique dans la grande Cathédrale d'Amérique.

Une cathédrale où la religion se perd.

Et une Amérique où une femme peut sortir sur une civière, les yeux sans paupîères par faute de les avoir fermé trop souvent, se noyer dans un verre pour masquer ses douleurs et où  mourir debout est possible.

C'est sur deux jours de congé très agréables que j'ai navigué.
Très bouleversants aussi.
Très bien, mais terribles également.

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