Mario n'avait jamais été tellement proche de ses enfants.
Çe devait être quand sa plus vieille avait eu 13 ans, son garçon devait alors avoir 11. C'est à ce moment, ou à peu près, que Mario avait nettement décroché de leur univers. Il avait bien tenté de "connecter" avec ses enfants mais son travail au bureau devenait de plus en plus intense, sa femme et lui ne faisait plus l'amour, il travaillait donc son couple aussi. Ses intérêts envers un univers, la technologie, qu'il comprenait de moins en moins? C'était trop lui demander. Il avait bien fait un petit effort pour tenter de comprendre Facebook mais pour y retourner il avait encore besoin de l'aide de ses enfants. Dire qu'il comprenait ce qu'il faisait était peut-être un peu exagéré. Dire qu'il y trouvait du plaisir aussi. Son tempéremment bouillant ne lui faisait aucun bien devant un écran. Toute sa vie d'adulte il avait eu à négocier avec les gags sur son célèbre homonyme, Mario Lemieux, le joueur de hockey. "J'ai beau m'appeller Lemieux, tout ce que je recherche c'est le meilleur". Ce n'est pas lui qui avait dit ça, c'était le joueur de hockey dans une publicité de chocolat dans les années 80. Et pourtant on lui remettait sur le nez. Un de ses patrons lui avait même reprocher un jour quand il avait baclé un travail. "Tu t'appelles Lemieux, ce que tu recherches c'est le meilleur? Ben prouves-le!" lui avait on alors dit. De quoi rendre schyzophrène.
Peut-être l'était-il un peu aussi. Il avait développé avec le temps une certaine aggressivité. Se défendre d'une identité qui n'était pas la sienne, ça use. Ça irrite.
Au fond, quand ses enfants se sont réfugiés dans les ordinateurs, la télé et la technologie, ceci avait beaucoup aidé Mario et sa femme. Ces deux-là travaillaient si forts qu'ils n'avaient pas eu tout le temps qu'ils auraient souhaité pour seconder les activités adolescentines de leurs progéniture. Ce territoire, qui était le leur avait fait du bien et avait été un sauf-conduit pour parents débordés.
Mais avait aussi créé un ravin. Rien de malsain. Un écart générationnel comme il s'en produit des milliers.
Il avait un peu apréhendé Noël. Comment allait se passer le temps des fêtes cette année? Sa plus vieille, à 17 ans, avait peut-être un amoureux, son plus jeune, à 15, parlait de moins en moins. Il avait à peine reconnecté avec sa femme et il voyait soudainement qu'il faudrait probablement réapprendre à connaïtre ses enfants à nouveau. C'est un peu ça l'adolescence. L'amour aussi, prendre ses distances à un certain moment, puis s'approcher à nouveau. Pour mieux apprendre à se réapprivoiser.
Mais le 24 décembre, Mario était là, un peu grisé par l'alcool, avec sa femme et ses deux enfants, dodelinant devant une technologie qu'il ne comprenait qu'à moitié, sur un rythme musical qu'il trouvait abject. Il suait comme un porc. Mario était plus gros que mince. Il dansait devant une machine qu'il comprenait à peine. Exactement comme dans l'annonce à la télé. Ils n'étaient que tous les quatres et tous les cadeaux avaient été déballés. Une Wii. Un jeu de danse. Il se retourna dans le vertige alcoolisé de la soirée. Sa fille souriait de toutes ses dents. Son fils aussi. Sa femme aussi d'ailleurs. Ils étaient tous les trois recroquevillés au dessus du divan du salon où siégait le fils avec un ordinateur sur les genoux.
"On non! Oh Non! j'ai fait "share all"" a soudainement vivement dit le fils.
Mario a gelé sur place. Que font-ils ses trois-là? ils souriaient tout à l'heure et les voilà soudainement ahuris, la main sur le visage devant un écran d'ordinateur portable. Le fils tourna l'ordinateur pour lui montrer que sa soeur avait filmé la scène, Mario en train de danser, et que lui l'avait mis en ligne sous le mot "Techgnochon".
Mario resta encore gelé une fraction de seconde. Les fils de son cerveau ne reliaient rien à rien. Trop saoûl le Mario. Puis il comprit. Puis les fils se sont touchés.
"T'as combien d'amis sur Facebook, fiston?" demanda-t-il.
"7648"
Mario compris que 7648 personnes partageraient leur hilarité autour du gros Mario qui dansait à peu près comme cette jeune fille. Mais en pire...En regardant comme il faut on voyait même sa craque de fesses et les ronds de sueur sous sa chemise.
Mario Lemieux entra dans une rage sans précédent. Il démoli d'un seul coup de pied le portable, en tira les restes par la fenêtre, démoli les trois autres ordinateurs de la maison à grands coups de hache, mis dans la toilette tous les Iphone tout en tirant la chaine et couru dans la rue en hurlant sa haine du monde entier.
C'était le 24 décembre, il fallait bien se dire la vérité.
Il détestait sa famille plus que tout au monde.
Malsain, un écart générationnel comme il ne l'aurait jamais souhaité.
Au diable son intimité.
"Cessez de me violer, cessez de me violer" pleurait-il
Non sans quelques fois se retourner afin de voir si on le filmait.
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