lundi 12 décembre 2011

Fantômes Astraux d'Abitibi

Ça relève presque du folklore.

Deux visites éclaires dans la région de plateaux et collines.
La gloire mêlée de honte. Le voyage plus que la destination.

1968 et 1983.

Novembre/Décembre 1968
Le printemps de Prague, Mai 68 en France, l'album Blanc des Beatles, la Saint-Jean Baptiste au Québec qui le 24 juin, n'est pas en reste. C'est une époque au complet qui change.

Godard est pour l'heure en pleine boulimie. Il tourne trois courts et deux longs-métrages l'année précédente. En 1968, stimulé par les rues de la France, il veut embarquer Truffaut dans les mouvements de Mai 1968. Truffaut ne veut rien savoir. Les deux se brouillent sur une question de fric pour le film Deux ou Trois Choses Que Je Sais D'elle. Godard ne veut plus faire du cinéma seul, il veut du cinéma en équipe, du cinéma politique. Il commence Le Gai Savoir qu'il laisse tomber et qu'il terminera après mai 68.  Voulant immortaliser le bouillonnement de la rue il tourne le documentaire Un Film Comme Les Autres qui fait parler étudiants et ouvriers sur les revendications de l'époque sous le vocable Groupe Dziga Vertov. Godard est à la recherche de repères. Il est dans une période maoiste, il a tourné La Chinoise il y a un an. Il veut placer les Beatles dans un documentaire en pleine création d'une chanson. Mais ils refusent son invitation. Ce sera donc les Stones. Godard, plaquera des images d'arnarchie et de révolution tout en mettant en lumière la voix des Black Panthers à l'enregistrement et la création de la chanson Sympathy For The Devil.

C'est après tout ça que le frondeur Jean-Luc se présentera à en hiver au Québec. À Montréal en premier lieu au Festival des Dix Jours du Cinéma Politique au cinéma Verdi. Godard est l'un des deux fers de lance du cinéma de la Nouvelle-Vague, c'est un héros. Mais un grouillant héros. Du festival dans la métropole, il se convainc qu'il doit prendre le contrôle des ondes télé pour son prochain projet.
Il ne tient pas en place et puisque Montréal est pleine de ressources, la ville ne lui tente pas. C'est en Abitibi qu'il croit moins équipé qu'il file pour déployer son idée. Première surprise, Noranda est équipée. Il veut mener une expérience révolutionnaire de télé citoyenne en direct pendant 10 jours. Il est entouré de toute une équipe, des français et quelques collaborateurs québécois. Pierre Harel, jeune cinéaste pas encore membre d'Offenbach(à la guitare) est parmi eux. L'impatience, le caractère naturellement brouillon, l'incapacité de rassembler ses idées, son équipe, de mettre de l'ordre dans la cuisine, son idée tombera à frette. C'est justement le froid à -25, froid non calculé, qui le décourage. Après 30 minutes de télé, le projet s'éteint. Godard fausse compagnie à tout le monde et se sauve sans avertir qui que ce soit avec comme filon l'idée d'écrire un livre sur le maoisme en rapport avec le climat (!).
Godard n'est alors que filon. Et frissons.
Noranda (distinctes de Rouyn à l'époque) a vu passer le fantôme d'un demi-Dieu.
Dans le brouillard de sa tête agitée.

Mai/Juin 1983

Blues post-référendaire au Québec. Les taux d'intérêts sont à 24% les obligations du Québec à 19%, la baisse du prix des métaux oblige un sérieux ralentissement économique dans la région du Nord-Ouest. Toutefois c'est bien en Abitibi que se tiendront les Championnats Sportifs du Québec. Faut donc les financer ces championnats. L'idée du souper-bénéfice avec une personalité sportive fait surface. Après-tout la région à produit Réjean Houle, Serge Savard, Rogatien Vachon, Jacques Laperrière, André Savard, et plusieurs autres sont tous des athlètes de la LNH originaires de la région, on pourrait facilement trouver un joueur de hockey.
Non. Un visionnaire lance Muhammed Ali...
"The Greatest?" dans notre ti-coin?
Dans-Vos-Rêves

Et bien le rêve deviendra réalité. Ali accepte l'invitation et arrivera à la mi-juin. La démarche elle-même est extrèmement naive mais elle fonctionne. On lui fait visiter les installations des barrages de la Baie James en s'y rendant par avion. Ali n'est que depuis deux ans à la retraite. L'année suivante, en 1984, il sera diagnostiqué de la maladie de Parkinson. Affable et beaucoup moins flamboyant que le personnage auquel il a habitué son public, il sera toutefois très disponible. Au souper qui coûte 50$ et pour lequel Ali exige 15 000$ des organisateurs, il entre sur la musique du film de boxe  de la série Rocky.
Toutefois plus il parle, avec flamboyance cette fois, plus les gens sont désenchantés. Il refuse de parler de boxe et ne parlera que de l'Islam auquel il se dévoue depuis 20 ans et maintenant à temps plein tout en multipliant les charges anti-étatsuniennes. Les gens restent un peu sur leur appétit...Le souper sera d'ailleurs déficitaire.
Mais ils avaient devant eux...chez eux...Muhammed Ali!

Avec un budget de fond de tiroir, Martin Guérin a tourné Voir Ali racontant cet évènement furtif.
Mai en Décembre de Julie Perron raconte en 25 minutes 50 secondes l'épisode Godard.
Sont venus, zont vus, zont rien vaincus.
Les deux vedettes mourront probablement d'ici peu.

Le mythe restera toujours vivant en Abitibi.

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