mercredi 14 septembre 2022

Jean-Luc Godard (1930-2022)

Le poète, trublion des images, n'est plus.  Le pays du Godard a le coeur et l'oeil en berne.

Éloge de l'Amour:

J'aurai adoré JLG. Entier étais-tu. Un héros personnel à la solitude si peuplée, n'est plus. Un frère excessif aux défauts agressifs.
Alors qu'il devait étudier l'anthropologie à la Sorbonne, il préfère sécher ses cours et courir les cinémas d'après-midi.

Tant mieux pour nous.

Ce faisant, il noue des relations d'amitié avec André Bazin, Claude Chabrol, François Truffaut, Jacques Rivette et Éric Rohmer. D'autres passionnés du septième art. Une des premières signatures du magazine Gazette du Cinéma fondée par Rohmer, lorsque André Bazin fonde Les Cahiers du Cinéma en 1951, Godard se trouve parmi les chroniqueurs.

Comme beaucoup des critiques des Cahiers du Cinéma, Jean-Luc Godard commence à s'intéresser à la réalisation. Son premier film, Opération Béton, est un documentaire. En 1958, il tourne le crâneur Charlotte et son Jules (dédié à Jean Cocteau et où il fait lui-même la voix de Belmondo). Toujours en 1958 François Truffaut tourne pendant une véritable inondation Une Histoire d'Eau, mais se retrouve avec des rushes qu'il juge inutilisables. Jean-Luc Godard les récupère et fait un montage sur lequel il ajoute un commentaire en voix-off. Il continue parallèlement son travail critique aux Cahiers du Cinéma et devient une figure clef de la Nouvelle Vague Française.

Cinéaste de la rupture, contrairement à l'ami Truffaut qui filme sa vie, Godard tournera toujours au présent. Il sera le cinéaste à la grammaire originale et à l'accent suisse impossible. Un cas de sincérité poussé jusqu'à l'autodestruction au cinéma. JLG est le meilleur ennemi de tous. Souvent le sien. Saboteur de la vie pour le bien de l'art.

À Bout de Souffle, inspiré d'un fait divers raconté par Truffaut et dialogué par Godard le matin même avant les prises du jour (technique qu'il emploiera très souvent), mettra en vedette Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg. Le film est à la fois un succès critique et public, reconnu internationalement. Il devient représentatif du style de la Nouvelle Vague. Jump cuts, tournage à la volée, improvisations sont autant d'irruptions novatrices dans un art que Godard, et les cinéastes de la Nouvelle vague, considéraient comme trop engourdi par l'académisme. Le film doit son succès à l'ingéniosité trouvée par manque de moyens pour tourner. À Bout de Souffle a été tourné par un clochard. Les jump cuts sont une "innovation" car on devait faire plus court dans le film. 

Infatiguable travailleur, il va jusqu'à faire le montage de la bande-annonce de Lola, le film de son ami Jacques Démy.

En 1961 il tourne un autre chef d'oeuvre, Vivre Sa Vie, avec celle qui sera sa muse cette fois, Anna Karina.

Le producteur italien Carlo Ponti lui confie l'adaptation du roman d'Alberto Moravia, Le Mépris. Mon film préféré de Godard. Il y sublime Brigitte Bardot et rend un vibrant hommage à Fritz Lang qui y joue son propre rôle. George Delerue signe une trame sonore extraordinaire et la photographie couleur de Raoul Coutard est splendide. Moi qui ne suit pas un homme de voiture (Godard est maniaque des voitures), j'ai une étrange fixation sur l'Alpha Roméo à cause de ce film en technicolor.

En 1964, Godard et Anna Karina – qu'il a épousée en 1961 – fondent la maison de production Anouchka Films. En 1965, Godard tourne les excellents Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution et Pierrot Le Fou. À la fin de l'année 1965, sur fond de campagne pour l'Élection présidentielle française, il tourne un autre de mes préférés: Masculin, Féminin avec Jean-Pierre Léaud, Chantal Goya, Marlène Jobert.

Karina & Godard divorcent cette année là.

JLG coupé au montage.

Ciné-peintre, il ne cesse de tourner. Parfois jusqu'à 6 oeuvres par année. Il est rapide comme Rossellini, malicieux comme Sacha Guitry, musical comme Orson Welles, simple comme Pagnol, blessé comme Nicholas Ray, efficace comme Hitchcock, profond comme Bergman, fantaisiste comme Fellini et insolent comme personne.
En 1967, les États-Unis veulent lui confier la réalisation de Bonnie & Clyde. Toujours méfiant des Étatsuniens dont il sent la main lourde sur la production(et qu'il aime aussi faire chier) il sabote ses chances en voulant transposer l'action au Japon et faire des deux anti-héros des États-Unis des adolescents. Il tourne plutôt La Chinoise à Paris, magnifique brûlot militant lancé quelques mois avant Mai 68.

Mai 68: Truffaut et lui, c'est fini, ils se brouillent à jamais. Les relations avec Truffaut ce sera seulement par écrit à partir de maintenant. Et avec fiel au possible. Godard a le fiel facile.

Toujours en 1968 il veut filmer le processus de création d'une chanson. Idéalement des Beatles. Ces derniers refusent étant devenus, à ce moment de leur carrière, 4 entités au lieu du quatuor mythique (Désintégration qu'ils immortaliseront tout de même dans le film Let It Be). Les Rolling Stones toutefois acceptent étant de grands fans de Godard. La création de la chanson Sympathy For the Devil (montrant la triste futilité de Brian Jones)est immortalisée dans One+One, rebaptisé Sympathy For the Devil par les producteurs. Le film est d'ailleurs si retravaillé par le producteur Iain Quarrier qu'il se mérite un violent coup de poing sur la mâchoire de la part de Godard à la première au London's National Film Theatre.

JLG Je T'aime. Moi j'aime les vieux.

Godard, cinéaste cubiste, devient autour de cette période, réfugié intellectuel. Maoïste entre autre chose. Il se réinvente tout en tentant de réinventer son art.
Les années 70 sont marquées par des études sur des positions politiques comme dans Tout Va Bien avec Jane Fonda ou avec le collectif politique qu'il fonde avec Jean-Pierre Gorin, Dziga Vertov.

Sauve Qui Peut (la vie) fait scandale en 1980 avec ses références à la pédophilie, ses scènes vulgaires de fellation et de fessées. C'est le message que veut faire passer Godard. Le monde et la société qui se dessinent devant lui le dégôute. Il enfile un costume qu'il portera le reste de sa vie: le costume du râleur.

JLG bougon crâneur pour un monde meilleur.

En 1982, il tourne Passion avec Hannah Shygulla (et Huppert encore). L'année suivante, Prénom Carmen avec Maruschka Detmers et dans lequel il se donne pratiquement son propre rôle (Oncle Jean): celui d'un vieux gâteux.

Deux ans plus tard sortent la même année Je Vous Salue Marie (scandale again le Vatican condamne) et Detective.

Comme il a bon goût, il rencontre Woody Allen en 1986, qui est un fan lui aussi de JLG, et en fait un film/interview de moins d'une heure. Godard lui réservera un rôle dans son (désordonné film) King Lear de 1987. Aux côtés de Norman Mailer et de Molly Ringwald.

JLG culte.

Mauvais génie de la communication, professionnel critiquant la profession, démiurge mélancolique, quand il s'exile en Suisse, là où il est né et a grandi, il s'isole mentalement et physiquement.

Il offre aux années 90, Nouvelle Vague, Allemagne Année 90 Neuf Zéro. Solitudes, un État et des Variations, Hélas Pour Moi et For Ever Mozart. Des films de moins en moins accessibles, de plus en plus intellectuels, où le personnage principal est bien souvent le cinéaste lui-même imposé par sa rigueur esthétique.

Son essai cinématographique de 2001, Éloge de l'Amour reste son dernier grand coup de grâce à mon avis. Poème cinématographique fort réussi de la part d'un vieux grincheux.


Il tourne encore à 80 ans quand son ami Rohmer trépasse. Si le 3 minutes vingt-six de l'hyperlien vous est lourd, accordez-vous le dernier 15 secondes qui nous montre Godard, ou son fantôme, marmonnant ce qui lui reste d'inspiration pour son pote Rohmer.

Touchant.

JLG immortel, pouvait maintenant mourir.

Immortel, tant mieux pour nous.

Salut Schtroumpf grognon,
Drôle, brillant, bête et méchant, provocateur né, insupportable, souvent exécrable, surtout avec ses proches, homme ponctué d'élans autodestructeurs et masochiste que tu étais, je t'aurai trop aimé.
Donc assurément mal.
Comme tu ne savais pas aimer les femmes.

Merci pour ta sale gueule.
Je vous salue Jean-Luc.
Salut, petit soldat qui avait découvert avec mépris qu'il fallait vivre sa vie, qu'une femme était une femme, et que dans un monde nouveau, il faut faire bande à part pour ne jamais se retrouver à bout de souffle.
Tu va me manquer, oncle Jean.

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