mercredi 28 septembre 2022

Corridors

Dans notre maisonnée, outre le prince félin, nous sommes 4.  Il arrive parfois que nous soyons tous à la maison, mais pourtant dans des corridors exclusifs. Sur nos téléphones respectifs.

On a même chacun nos applications. Notre fils traine surtout sur SnapChat, Be Real ou Instagram. L'amoureuse, est presqu'exclusivement Facebook. Je suis ponctuel Twitter. Notre fille est Tik Tok. C'est justement sur Tik Tok que je me suis récemment inscrit. Pour m'abonner à Mathieu Nadeau-Vallée dont je suis un grand admirateur. Il s'agit d'un travailleur de la santé très intelligent et reconnu nationalement, qui détruit les fausses informations entourant la Covid en quelques arguments bien amenés. D'autres fois, il nuance. Presque toujours, il clarifie. Il est aussi humble quand il se trompe et le reconnait. Quelques fois, il déconne aussi. Toujours très calmement, il interagit. Il s'agit de l'un de mes trois uniques abonnements. Mon autre abonnement est un trio de danse que j'admire partciulièrement. Deux gars, une fille. Ils sont très diverstissants et donnent le goût de bouger. Et finalement, je suis aussi abboné à ma fllle et vice-versa. Après quelques semaines, je ne peux pas dire que je supportes beaucoup l'univers Tik Tok et ses artisans. 

Toutefois c'est sur Tik Tok que j'ai vu ce gars parler à son téléphone, nous parler à nous, se plaignant des filles qui ne cessent de confesser, sur l'application, leur peur de certains types d'hommes, et il termine, sur son ton plaintif toujours, en disant "pourquoi nous raconter tout ça, vous penser nous attirer ?". Ce à quoi, une jeune femme, mangeant de manière décontractée des chips à même le sac, lui répond de son visage maternel sans rien dire, mais en faisant jouer le refrain de Staying Alive, roulant les yeux.  

Les réseaux sociaux nous offre parfois de merveilleux One-Two punchs. 

Mais n'oublions pas ici, que ce que répond madame est une réalité rare, voire inexistante, chez les hommes. Le concept de la sécurité personnelle. La plupart des hommes ne doivent y accorder mentalement que moins de 1% par semaine de réflexion. Tout dépendant de la nature du travail quotidien. Une Femme y pense depuis probablement son enfance. Depuis qu'elle a réalisé qu'un garçon, même beaucoup plus bête que soi, peut physiquement vous contraindre, vous faire très mal, voire vous tuer, même si vous êtes 10 fois cette personne à tous les niveaux. Je crois l'avoir déjà mentionné ici, mais il y a une dizaine d'années, une amie ontarienne, collègue de travail, me demandait de l'aider à se trouver un appartement en ville. Ça m'a pris deux fois pour arriver à y trouver des endroits adéquats car je n'avais jamais calculé proprement sa phrase "is it safe?". C'est pas une phrase qui joue dans la tête des hommes tellement souvent. Parfois jamais. Ça ne m'avait jamais effleuré l'esprit. J'ai habité des quartiers dits durs, mais jamais ma propre sécurité ne m'a inquiété.  

Avec tout ce qui se passe sur terre, prenez simplement l'Iran, en ce moment, les Femmes ne peuvent aucunement conceptualiser la vie comme un homme le fait sans tenir compte de sa propre protection personnelle. Encore plus quand on réalise, ado, que les garçons s'intéressent beaucoup à nous. 

C'est inévitable.

Ce qui l'est ou pas, je ne sais vraiment plus, ce sont les féminicides, dernier rempart de paille de la lâcheté masculine dans lequel il faudrait un jour mettre le feu. 

Synthia Bussières avait quitté depuis 15 jours Mohammad Al Ballouz. Ils avaient deux jeunes garçons de 2 et 4 ans. Mohammad les as tous trois froidement assassinés et a tenté d'incendier la maison afin que leurs cadavres n'existent qu'en poussières. Ça se passait à Brossard dans la nuit de samedi à dimanche pendant que nous, ici, sur l'autre 450, on reçevait 12 personnes et on avait des moments formidables à se partager. 

C'est effroyable. L'assassin n'avait aucun passé qui pouvait prévenir ce blackout. Était-ce inévitable ? Quels types de corridors mentaux sont tristement empruntés quand on se comporte comme Mohammad l'a fait ? On marche très certainement dans le noir. 

J'ai pas arrêté de penser à Synthia mardi. Au moment où elle rencontré son homme et l'a trouvé suffisamment charmant pour, avec lui, tricoter deux enfants d'un amour qu'elle pensait probablement certain. À partir de quand a-t-elle réalisé que cette relation n'était plus saine ? Avaient-il un entourage qui aurait dû "read the room" comme disent les anglos ? Les proches s'en veulent-ils ? Pouvait-on vraiment prévenir ? Les deux travaillaient en urbanisme. Leurs collègues cessent de travailler depuis. Ils sont en état de choc grave. 

Comment rendre tout ça évitable ? J'avoue lire beaucoup plus que je n'interviens sur Twitter. Enfin, beaucoup plus que certains/certaines. Mais je remarque que je suis attiré par les gens "brisés". Un de ceux-là parlent souvent de la mort et de son incapacité à éprouver toute forme de plaisir. Twitter c'est beaucoup de solitudes. Aussi saines que malsaines. Mais on dirait que plus le gars/la fille me montre ses fêlures, plus j'ai envie d'intervenir. Et souvent, le fait. Afin de prévenir. De soutenir. De donner des élans tout autant que de les dévier. La solution restera toujours la communication.

Qu'est-ce qui n'a pas été assez dit autour de Synthia et de Mohammad ? Qu'est-ce qu'on doit dire, se dire, par rapport à la multiplication des féminicides ?  

Depuis plus de deux ans, l'amoureuse, nos deux kids, des proches, amis, on s'envoie ponctuellement 1 (parfois plus) snap par jour de l'application SnapChat. Qu'est-ce qu'un snap ? Ceci à gauche. Une photo où un vidéo d'un moment de ta journée que tu peux beaucoup altérer de filtres et textes. On est, à respectivement 19, 23, 50 et 52 ans, de plus en plus actifs et même si on couche tous sous le même toit, on ne se fréquente plus autant qu'avant, parce que trop occupés ailleurs. Cette photo par jour qu'on s'envoie est la couleur de notre jour. Elle est rendue indispensable à nos jours. Une fois envoyée, on a 24 heures, parfois un peu plus, pour en envoyer une nouvelle. Avec l'amoureuse, j'ai 697 photos de suite. Avec mon fils, 544. Avec une de mes soeurs 453. Avec ma fille, 439. Avec son chum, 269. Avec ma mère, 132. On se jase en images. On se fait rire, on dramatise ensemble. 

On communique dans nos corridors respectifs.

On les garde éclairés.

Dans le même bulletin de nouvelles du jour, j'entendais qu'on trouvait chez un harceleur, coupable de violence conjugale 15 armes à feu. C'était aussi effrayant que rassurant. Cette fois, on avait prévenu.

On en parlera jamais autant que Synthia, les deux enfants & leur meurtrier. Mais on a probablement prévenu.

Le silence de cette violence est nettement plus intéressant que celui laissé dans un logement de Brossard.   

Il est important d'éclairer nos corridors. Encore et encore. 

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