dimanche 4 septembre 2022

Cinema Paradiso******************************Mean Streets de Martin Scorsese

Chaque mois, dans ses 10 premiers jours, tout comme je le fais pour la littérature (dans ses 10 derniers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu) je vous parle de l'une de mes 3 immenses passions: le cinéma. 

Je l'ai largement consommé, longuement étudié, en fût diplômé, y ai travaillé, ai été récompensé, en suis sorti, mais le cinéma n'est jamais sorti de moi, je le consomme toujours, assez largement. 

Je vous parle d'un film dont j'ai aimé la sensibilité, l'univers, la réalisation, les interprètes, l'audace, l'exploitation d'un thème, la musique, l'impact sur ma personne, les dialogues, le scénario, souvent tout ça en même temps. Bref, je vous parle d'un film dont j'aime la plupart des choix.

MEAN STREETS de MARTIN SCORSESE

Le troisième long-métrage de Martin Scorsese n'est pas uniquement à propos d'un gang de gangster pseudo punk, c'est principalement un film cherchant à cerner le sentiment de pêcher et de ne pas en payer le prix. Le sentiment de vivre en constant pêchés. Scorsese a grandi dans la petite Italie et l'aura de la Mafia y avait toujours trainé autour de sa famille italo-américaine. Pour tout catholique né avant les années 60, ceci a une importance que nous connaissons peu: L'idée que le pêché, les règles morales rigides, dominaient nos pensées, et qu'un pêcheur mourrant sans absolution était condamné

Dans les années 50-60, Scorsese avait entre 8 et 28 ans. Les années formatives. Et le conflit intérieur de son personnage principal est le sien, d'alors. 

Les mots clés de cette comédie sont les premiers du film, narré en voix hors-champs, une technique que Scorsese emploiera souvent dans sa longue carrière, ce film est un carbone de beaucoup, beaucoup de choses, que Scorsese répétera/développera dans sa carrière; les mots disaient-je, dits sur un fond d'image noire comme les ténèbres sont les suivants: "You don't make up for you sins in church, you do it in the streets. You do it at home. All the rest is bs (bullshit) and you know it." C'est d'ailleurs la voix de Martin qu'on entend. Des mots probablement entendus d'un ecclésiastique un jour et répétés ici.  Un film très personnel pour Scorsese. Comme son premier

Quand plus tard Charlie, joué par un jeune Harvey Keitel, parle des traditionnels 10 Je Vous Salue Marie et 10 Dieu, Notre Père que le curé lui aurait donné comme punition. Lui, préfère ses propres châtiments, en passant ses doigts dans les flammes d'une chandelle ou d'un briquet. Des très jolis plans. Peu importe ce que fera Charlie, il sera toujours un pêcheur. La lumière du film suggère certaines morales. Couleurs traditionnelles dans le monde normal, mais dans le bar de son ami Tony, rouge Kubrick comme l'enfer. Rouge, la couleur du sexe, du sang et de la culpabilité. De l'enfer. 

On le voit y entrer au ralenti (une autre signature MS), saluant ses potes, éventuellement se rendant sur scène pour y danser avec une stripteaseuse. Il fantasme sur cette stripteaseuse, entretenant même une relation avec elle, mais se gardant à distance, craignant l'hostilité d'être un caucasien avec une Femme noire. Il fantasme aussi sur sa propre cousine. Ce qui le culpabilise davantage. Il lui dira "Don't say that" quand elle lui dira qu'elle l'aime. Son désir se butant mentalement avec son amour platonique pour elle. Pour Charlie, chaque Femme est une occasion de pêché. Après avoir dansé sur scène avec la stripteaseuse, il se rend au bar et se brûle les doigts. 

Charlie se promène dans le film à la recherche de pardons. De son oncle Giovanni, un patron local de la Mafia. De Teresa, la soeur de son meilleur ami, Johnny (Robert DeNiro, formidable). Du prêteur sur gages local, Micheal. De Dieu. Il veut le salut. Scorsese sent ce film qu'il a entièrement scénarisé parce qu'il l'a vécu. Charlie/Martin sait pertinemment que l'église a raison, qu'il a tort, qu'il est croche et faible. Bien qu'il soit au coeur d'un univers où la circulation de la drogue implique de tuer et de voler autrui, sa culpabilité est concentrée sur ses pulsions sexuelles. Le reste, ce ne sont que des affaires. Business. 

Le film nous montre Charlie en conflit d'impureté. Tentant de réconcilier ses mondes intérieurs qui rivalisent les uns avec les autres. Il travaille comme "collecteur" d'argent pour son oncle Giovanni. Puisqu'un des restaurant pour lesquels ils "offrent la protection", n'arrivent pas à payer, il est mandaté par Giovanni de diriger les opérations de ce restaurant. Mais Gio l'avise de ne plus se tenir avec Johnny ou encore Teresa dont les crises d'épilepsie lui évoque la maladie mentale. Les gens honorables se tiennent avec les gens honorables. 

Johnny doit de l'argent et n'arrive pas à rembourser Micheal non plus. Ce qui place tout le monde dans le trouble et cède la place à une scène hilarante d'excuses pour ne pas avoir payé. DeNiro y fait une talentueuse audition pour le talent futur qu'il allait mettre à nos dispositions ailleurs. La caméra épaule est beaucoup utilisée ce qui nous donne aussi l'impression d'être une tête parmi ses gens. Un autre réflexe Scorsese pour les années à venir. 

Plusieurs scènes sont extraordinairement drôles. Cette explication loufoque pour ne pas avoir payé de DeNiro. La bagarre générale et sa lourde, très naturelle et réaliste gauche chorégraphie, dans le bar, qui sera suivie aussi par une seconde bagarre, après intervention de la police (qu'on paie pour avoir la paix). Tout ce qui est joué autour du mot "mook" dont personne n'est convaincu si c'est une insulte ou non. 

L'utilisation de musique connue (les Rolling Stones, qu'il affectionne autant que moi) dans les films, avant peut-être 1967, était peu fréquente. Scorsese ne se gêne pas. Sa jeunesse en plaçant parfois même un peu trop ici.

Charlie veut le bien de Teresa et de Johnny mais est empêché de les fréquenter, Il y échoue. Il échoue partout. Sa couleur de coupable est partout dans le film. À un certain moment, il commande du scotch et au moment où l'alcool tombe dans son verre, y place son doigt pour l'en empêcher, en parfaite dualité. 

C'est un Scorsese encore en apprentissage, mais qui mènera, 3 ans plus tard, au chef d'oeuvre Taxi Driver. Plusieurs choses s'y trouvent déjà.   

Drôle, intense, dur, violent, repentant. Carbone de tout ce que nous offrira Martin par la suite.

Ce film a été tourné il y a 50 ans, cette année. 

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