Quand on va au cinéma, selon le choix des films que l'on souhaite voir, on peut choisir d'être bouleversé.
Des fois par contre c'est le cinéma qui s'impose à la vie et bouleverse sans consentement.
Pat avait remarqué que depuis 1995, il ne se supportait plus ni en photo, ni dans les miroirs.
C'est que ses yeux avaient changés. Il y lisait moins d'intelligence qu'avant. Il se regardait et s'impatientait d'y voir un homme au regard différent. Lui-même, méconnaissable pour lui-même.
Il avait mis du temps à comprendre que la couleur de son oeil s'était sournoisement teinté de détresse au détour de l'âge.
Au même moment avait commencé des insomnies. Il avait d'abord blâmé une mauvaise alimentation, puis au détour de deux trois consultations avait dû admettre que les docteurs fuyaient tous ses questions sur le sujet. Personne n'avait de solutions, ce qui était possible mais Pat, si il avait perdu confiance en son propre regard face à lui-même, savait encore lire celui des autres. Et dans les yeux des docteurs qu'il consultait il sentait la dérobade. Comme si on ne voulait pas toucher à la chose.
En apprenant le suicide, caché depuis toujours, de son grand-père, il avait aussitôt compris: la maladie mentale était dans les gênes de sa famille. Ce qui ajoutait à son trouble c'est qu'auprès de sa blonde, du côté du père de sa blonde, il y avait eu mort pour cause d'Alzheimer. Et qu'ensemble, il venait de mettre au monde un petit garçon. La maladie mentale touche davantage les garçons. Il voulait un enfant rapidement pour se donner une raison pour vivre. Pas qu'il eût pensé mourir, ça non jamais. Mais la vie lui faisait de plus en plus peur. Une peur irrationnelle, une peur des gens entre autres, une crainte des situations, une baise de confiance injustifiable. Une mysanthropie malsaine qui ajoutait à sa détresse quand les faux-pas publics venaient à se multiplier. Avoir un garçon l'avait presque effrayé davantage au bout du compte. Et si il fallait qu'il compose avec tout ça en double?
Sans trop le réaliser, le choisissant presque, il s'isolait. S'investissant dans les arts, un parfait refuge pour les mentalements malléables, par le fait-même bien souvent fragiles. Étant pratiquement plus attentif à son fils qu'il ne l'était à lui-même ou à sa blonde, il finit par se négliger. Son jugement, qui n'avait jamais été son meilleur atout, semblait régresser. Sa capacité à encaisser certains défis le rendait toujours plus fragile. Au lieu de voir le potentiel de l'expérience vécue, il anticipait tant l'échec qu'il finissait par l'incarner. Têtu, il refusait de voir les problèmes, des pressions imaginaires qui n'avaient de source que dans sa tête. Une tête impossible à reposer la nuit et qui le gardait tant réveillé que sa fatigue psychologique de jour le rendait improductif, asocial, facilement en marge quand le train de la vie de jour passait à ses côtés.
Il dût s'admettre qu'il fallait apprendre à composer avec cette dégénérescence. Mais où placer le dégénéré? où le cacher? Pensant avoir trouvé une planque à barjo, il avait été si efficace qu'on lui en demanda davantage et davantage et davantage jusqu'à ce que le stress s'impose et vienne tant danser sur ses nerfs qu'il finit par en craquer. Il se surprit à trembler à l'occasion.
En empruntant en voiture un chemin qu'il avait 1000 fois emprunté, il se perdit inexplicablement à plusieurs reprises. Ses repères s'effaçaient. En prenant sa douche un soir, il enleva son pantalon et des sous tombèrent de ses poches au sol. Ceci le fît fondre en larmes.
Une violente dépression plus tard, il avait un nouveau défi: calibrer ses intensités.
Il devint plus attentif à ses humeurs. Les questionna davantage. Reconnu une détresse chez d'autres qui comme lui avait eu des épisodes de panique. Chez Lucy Gordon et chez Randy Quaid, il vait lu dans leurs yeux ce qu'il lisait lui-même dans les yeuxà l'occasion. Chez des artistes surtout, cette bande de suicidaires.
Hemingway, Dédé Fortin, Cobain, Foster Wallace, Brautigan, Thompson, Bugatti, Curtis, Seberg, Gary, Van Gogh, Jutra, Duncan & Blake, Lucy Gordon justement...
Pat avait même rêvé qu'il avait dansé un étrange tango à trois avec Lucy Gordon et Randy Quaid.
Une morte et un homme à la dérive, dans le corridor de la folie totale.
C'était un beau rêve. À la fois suffisament charmant pour que la détente incite à danser au bras d'une belle femme, mais tout aussi angoissant de par le fait qu'il s'agissait d'une danse avec une morte, suicidée, secondé par l'arrivée soudaine d'un homme au bord du gouffre mental, Quaid.
Le gouffre mental. Le ravin.
Celui qui offre des blackouts jusqu'a la permanence.
Pat n'avait plus peur depuis. Il apprenait à faire avec. En étant attentif à la difficile mécanique de son corps.
En dosant les grenades lancées et les grennades reçues. En recherche perpétuelle d'équilibre.
En veillant sur son fils, en préservant sa blonde de ce gris, bleu-amer qui le consumait de l'intérieur.
De plus le tabou devenait de plus en plus public.
Comme cette semaine d'ouverture sur la maladie mentale.
C'était un pas de bébé à ses yeux mais peut-être qu'un jour le regard des docteurs oserait croiser celui des malades. Ne serais-ce que pour leur indiquer la route du psychiâtre.
Et ça pour lui ça serait du beau cinéma bouleversant qui en vaudrait la peine.
C'était la semaine de la prévention du suicide cette semaine au Québec.
C'est à l'année qu'il faudrait parler de maladie mentale.
Parler ça peut sauver.
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