Si elle effectue ses premières apparitions au cinéma dès l'année de ma naissance, elle se fait remarquer deux ans plus tard en 1974 grâce à de jeunes metteurs en scène qui marquent le renouvellement du cinéma d’auteur français après l’expérience de la Nouvelle Vague, Bertrand Blier, dans Les Valseuses, et Bertrand Tavernier, dans Le Juge et l'Assassin. Ces deux films, chacun dans leur genre, marqueront le public et la critique et permettront à l’actrice débutante d’affirmer un jeu tout en nuance et en profondeur, une partition singulière qui la distinguera des autres étoiles montantes de l’époque, Miou-Miou et Isabelle Adjani.
De fait, Isabelle Huppert bâtira sa carrière sur des choix exigeants, des films et metteurs en scène non-consensuels et élaborera des gammes d’interprétations jugées plus cérébrales et expérimentales qu'intuitives et authentiques. Ces partis pris et la grande discrétion (pour ne pas dire « méfiance ») dont elle fait preuve vis à vis des médias, lui assureront une filmographie prestigieuse, admirée des élites intellectuelles et bien éloignée des gros titres de la presse à scandale, mais la mettront régulièrement à distance des suffrages populaires et, en un sens, de ceux d'une partie de la profession qui l'écarta régulièrement du palmarès des César, lui préférant les grandes représentantes du star-system à la française (Catherine Deneuve et Isabelle Adjani entre autres).
Sa carrière prend véritablement son envol avec La Dentellière, du Suisse Claude Goretta, qui lui vaudra plusieurs distinctions internationales. Elle y tient le rôle d’une jeune shampouineuse introvertie, victime d’une déception amoureuse qui fait basculer son existence. Cette image victimaire et de fragilité maladive la poursuivra dans plusieurs de ses films des débuts, au risque de l’enfermer dans des compositions quelque peu répétitives . En même temps, elle contredit cette esquisse en donnant corps au personnage-titre de Violette Nozière, devant la caméra de Claude Chabrol. C’est son premier « rôle-limite », registre dans lequel elle affirmera, avec une redoutable fidélité, toute l’étendue de son talent, parvenant à rendre crédible la folie sans jamais verser dans l’hystérie. Violette Nozière fait en cela écho à La Pianiste(d’après le roman d’Elfriede Jelinek, Prix Nobel de Littérature) de Michael Haneke, chacun lui valant un Prix d’Interprétation au Festival de Cannes (seule actrice française à avoir réussi le doublet).
La lecture de sa filmographie traduit également la permanence de deux directions dans ses rapports à la création : fidélité à des metteurs en scène et goût tout aussi assidu pour l’expérience auprès d’auteurs débutants. C’est ainsi qu’elle tourne plusieurs fois avec Tavernier, Blier, Jean-Luc Godard, Benoît Jacquot, Werner Schroeter ou Michael Haneke. Mais la complicité nouée depuis 1978 avec Claude Chabrol s’affirme comme une ligne de force où le dialogue instauré entre le maître et la muse devient quasiment l’objet même du film, comme ce fut le cas avec L'Ivresse du pouvoir en 2006, qui est autant une fiction sur un scandale politique contemporain qu’un documentaire sur l’actrice. Entre-temps, le duo aura exploré toute une série de genres dramatiques, de la comédie (Rien ne va plus, aux côtés de Michel Serrault) au drame social (La Cérémonie avec Sandrine Bonnaire, Jean-Pierre Cassel, Jacqueline Bisset et Virginie Ledoyen) ou historique (Une affaire de femmes), en passant par le film noir (Merci pour le chocolat, avec Jacques Dutronc) et l'adaptation littéraire (Madame Bovary). C'est d'ailleurs à Chabrol qu'elle doit l'obtention de son seul et unique César de la meilleure actrice en 1996, pour son interprétation de postière infanticide dans La Cérémonie; fait étonnant et paradoxal dans la mesure où Isabelle Huppert est la comédienne la plus nommée de toute l'histoire de la manifestation (treize nominations au total). Mais cette relative injustice est largement compensée par une razzia de prestigieuses récompenses internationales, glanées aux European Awards ainsi qu'aux festivals de Venise, Berlin, Moscou, Thessalonique, Hambourg, San Sebastián, Taormine et Montréal.
Même si l'échec de Heaven's Gate de Michael Cimino en 1981, où elle joue la prostituée française partagée entre Kris Kristofferson et Christopher Walken, lui a fait rater la marche de grande star mondiale, elle a néanmoins atteint une stature unique dans le cinéma français contemporain, de monstre non sacré, c’est-à-dire à la fois unanimement respectée par ses pairs, tout en s’employant à brouiller cette image trop lisse à travers des choix extrêmes, d'un élitisme revendiqué, aussi bien au cinéma qu’au théâtre.
La splendide Isa est à Montréal cette semaine dans le cadre du Festival des films du monde.
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