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Un hurlement traverse le ciel.
Ayant ma rencontre annuelle avec la docteure Bloomberg jeudi, je me suis pointé au CLSC local afin de me faire prendre ma prise de sang qui lui serait directement envoyée. Ayant prévu une longue attente je me suis grayé d'un livre de 762 pages. Il était pourtant 7h10 du matin et j'étais le #68. On servait le #3. Ipod in, book open, cul bien vissé sur ma chaise. Je me suis enfermé dans ma bulle. C'est connu, c'est dans les salles d'attentes qu'on attrape tout et là nous étions autour de 80 dans une petite salle.
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UNE ARMÉE D'AMOUREUX PEUT ÊTRE BATTUE.
Il y avait devant moi cette femme, peut-être 44 ans, en affichant dix de plus, c'est fou ce que la vie peut travailler quelqu'un. À ses côtés, ce qui devait être sa mère, facilement plus de 70 ans.
"C'est long hein? Ça fait déjà une heure" a dit cette vieille dame. J'ai vu dans les yeux de celle qui était probablement sa fille un regard d'amour passer. Un regard de patience comme les mères donnent à leur enfant trop capricieux qui lancerait des complaintes mal avisées. Derrière eux, un homme, 65 ans je dirais. Il venait tout juste de s'assoir avec sa partenaire, peut-être 5 ou 6 ans de moins. Peut-être le même âge aussi. C'est fou ce que certaines femmes semblent être à l'épreuve du temps. Il y avait tant d'amour dans les yeux de cet homme vis-à-vis de sa partenaire, et elle avait un sourire si resplendissant, j'ai eu l'impression que le soleil venait d'entrer dans la pièce. Sur ma gauche, un bébé, qui ne me lâchait pas des yeux. Étais-ce le livre sur mes genoux? les fils du Ipod qui se rendaient à mes oreilles? ma tête de gars qui dort peu? tout ça? quelque chose attirait son attention. Je l'ai remarqué, sa mère l'a remarqué, on s'est tous remarqué, on s'est tous souri avec tant d'amour et de calme qu'on en oubliait qu'on végétais dans une salle d'attente de CLSC. On se serait cru sur une plage. Le bébé n'a pas souri, il a rôté. Ça a fait rire deux étrangers. Pas de sentiment mortel dans l'atmosphère. Et pourtant de l'autre côté d'un CLSC ou d'un hôpital il y a aussi quelque fois la mort...
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Quel meilleur endroit que Zurich pour retrouver sa vanité?
Ma rue. C'est vrai je n'ai pas vraiment changé, sinon que j'ai peut-être même pris un peu de poids cet été. Et pourtant je sens les regards des desesperates housewives de mon coin sur ma personne toujours plus chauds et châtoyants depuis deux semaines. On m'a quelque fois dit que l'été mon teint, déjà foncé qui devient excessivement bazané pendant trois mois, rendait certaines femmes plus consciente de leur personne. Là c'est moi qui devient conscient de moi-même et vaniteux car ces regards qui au début ne faisaient que prouver que je n'étais pas un fantôme dans mon quartier m'ont tranquillement rendu player alors que je renvoie toujours à leur regards le sourire le plus amical possible. Comme ce que je venais d'envoyer à cette réceptioniste au comptoir.
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-Ah non pas encore celui-là.
Même si nous étions autour de 60 maintenant dans la petite salle, entre chaque chanson de mon ipod je pouvais entendre...le silence... de la salle d'attente. Si ce rassemblement matinal avait été une classe, le prof d'école aurait été fier de ses élèves. Donc quand ce jeune homme est arrivé, l'air de rien avec son gilet à trois boutons vert, et qu'il a poussé un long gémissement on a presque tous levé la tête en même temps. Incertain que le bruit était venu de lui j'ai promené les yeux et fait une pause sur mon Ipod. Dans l'attente d'un cri de douleur que je croyais sorti d'un homme qui avait confondu CLSC et hôpital. Puis est arrivé le second bruit plus près du cri animal. Il venait bien de cet homme debout en ligne avant de passer au comptoir. Il avait été accompagné d'un geste de crampe dans l'épaule. Il a répété ce manège trois ou quatre fois, assez fort. Suffisament en tout cas pour faire soupirer quelques uns qui n'avaient pas compris qu'il s'agissait d'un homme atteint du syndrome de Gilles de La Tourette. Quand il s'est assis en salle, deux personnes ont changé de siège obligeant des soupirs de mépris à leur égard de la part de quelques autres (dont moi).
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Un nouveau paramètre dans son équation personnelle: la trahison.
J'ai travaillé brièvement par le passé avec des enfants atteints du syndrome de La Tourette. Ce sont de formidables petits diables. Tout ce qu'il y a de plus normal. Jusqu'à ce que s'empare d'eux ces spasmes qui leur font imiter des bruits d'animaux ou qui les rend colérique. Qui les fait bégayer aussi quelque fois et pousser des grognements qui rend les gens mal informés fort inconfortables. Rien de grave, sinon le regard, l'impatience et l'incmpréhension des autres. Ils doivent en entendre de toute sorte de la part des enfants qui n'ont pas le filtre du jugement toujours bien aiguisé.
"Pourquoi il fait ça, maman?" a demandé une petite fille, arrivée plus tard et assise devant lui. Sa maman s'est penchée sur elle pour lui murmurer une explication. Le jeune homme lui a souri. Mais a aussitôt émis quelques bruits qu'il semblait essayer de refouler, rappelant ceux d'un animal qui agoniserait. La petite fille a dit à sa mère qu'elle avait peur et elles ont toutes deux changé de place. Laissant le jeune homme seul et légèrement piteux. J'en ai été touché. J'ai été m'assoir face à lui. Je lui ai souri. On s'est compris sans rien dire.
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-Évidemment si je dois rester avec des types dans votre genre, réplique le chevalier d'un petit air pincé.
Je commençais à avoir des crampes au dos à rester assis ici si longtemps. Bien que je lisais un livre tout à fait passionnant en écoutant de la musique tout aussi ennivrante, j'étais sur le point de lancer un défi à un usager du système de santé pour un concours de celui-qui-reste-éveillé-le-plus-longtemps. Après tout je fais toujours un peu semblant de dormir la nuit mais en contrepartie le jour me fais le tour inverse. Il donne toujous l'impression que je suis parfaitement réveillé mais souvent je rêve. Je pensais à tout ça dans un moment zen et presqu'aérien quand le gars avec le syndrome de La Tourette m'a fait sursauter et échapper mon livre. Son cri était strident et disons qu'il m'a pris par surprise.
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Dur réveil pour Byron!
Ça y est, je m'étais endormi dans mon livre, laissant un long filet de bave dans les pages. Je n'avais rien perdu de l'histoire que je lisais mais avait un peu perdu le fil des consultations. C'est bien entendu le jeune homme de La Tourette qui m'avait réveillé avec un cri. Qui servait-t-on maintenant? le #61, ce serais donc mon tour bientôt. Ce n'étais qu'une prise de sang ce ne devrait pas être trop long, 4 heures plus tard...Mon dos semblait barré. J'avais une folle envie de péter mais bon...je ne devais quand même pas faire ce que plusieurs semblaient déjà s'être passé le mot pour faire... Je suis allé dehors quelques secondes, ne serais-ce que pour me délier les jambes, et faire pêter le bois dans le feu du jour.
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Et maintenant tous en choeur...
Dehors, dans le stationnement, sous le soleil tapant, j'ai repris la lecture de mon livre et l'ai même terminé. Grand Thomas Pynchon. Je crois que je vais le relire en anglais. La traduction extraordinaire de Michel Doury n'est probablement rien aux côtés de la version originale. Life changing kind of book. Quand je suis rentré on servait le #76.
"Hé! j'ai manqué mon tour!"
"Monsieur il fallait être là quand on a appellé votre #, où étiez vous?"
"Juste là dehors, accoté sur la vitre faites moi pas croire que vous ne me voyiez pas j'étais tout juste devant vous!"
"Aaaaaaah..oui...c'est vous les belles fesses que j'avais devant moi...ça ne m'était pas désagréable, je les souhaitais devant moi plus longtemps, allez-y, venez avec moi, Renée prends ma place un instant"
Je l'ai suivi, confus.
Dans une pièce fermée elle m'a dit avec authorité:
"Déshabillez-vous"
Je n'ai pas réagi, incrédule. Elle a commencé à me déboutonner, j'ai eu le réflexe de faire de même sur sa personne, on a dansé le waka waka dans une pièce fermée sans fenêtre.
Elle m'a ensuite pompé le sang. M'a fait ma prise de sang aussi. Et j'ai demandé en retour un test de grossesse.
Quand même...
On attrape tout dans les CLSC et autres endroit du genre.
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