vendredi 22 mai 2020

Tons D'Hunter

Quand un film refuse de livrer une histoire, il vous reste alors un ton.

Il y a beaucoup de cela dans ce qui me plait chez David Lynch. Moi, qui ai une formation de scénariste, qui lit beaucoup, qui favorise toujours les bonnes histoires au détriment de la poudre aux yeux cinématographique, je suis aussi en mesure d'être soufflé par un travail concentré principalement sur le ton d'un film. De plus en plus.

C'est pas anormal, quand on y pense. Le ton, en général, chez l'autre, est d'une importance réelle. Il fera en sorte que vous aimez être en présence de quelqu'un, dialoguer avec, le/la fréquenter ou non.

Je l'ai aussi constaté récemment, dans les films (et séries) que j'aime beaucoup. Voici trois exemples de films que j'ai (re) vus récemment, et qui se trouvent aussi dans la catégorie des films/séries que j'aime démesurément. Principalement en raison de leur ton et de l'état de grâce dans lequel ils me plongent par la suite.

L'Année Dernière à Marienbad, d'Alain Resnais, 1961, a été "scénarisé" par Alain Robbe-Grillet. Je place le verbe scénariser entre guillemets car l'histoire reste vague dans ce bijou cinématographique (à mes yeux). Le film est fameux pour sa structure narrative énigmatique dans laquelle le temps et l'espace sont d'une fluidité floue qui nous place dans une incertitude presque tout le film sur ce qui se passe par rapport aux personnages. On répète souvent les mêmes phrases, les personnages n'ont pas de noms, on ne sait pas ce qu'ils se rappellent ou ne se rappellent pas, ni même pourquoi. On ne sait pas ce qui est imaginé ou réel. On est dans une vibration proche du rêve. Avec les longs travellings que Resnais commande à Sacha Vierny et la narration hors-champs sensuelle, on a, à la fois confus et séduit les gens qui ont vu ce film. Je suis de la seconde catégorie, de toute évidence. Ceux qui n'ont pas aimé prétendent souvent n'avoir rien compris. Peut-être n'y avait-il justement rien à comprendre et tout à sentir. J'aime l'idée de penser que l'Homme et la Femme du film sont les fantômes l'un de l'autre. Des souvenirs. Des mémoires diffuses.
Le film s'adresse très simplement à nos facultés de voir, entendre et surtout sentir. Si on essaie trop de comprendre rationnellement (comme dans un film de Lynch) avec son esprit cartésien, on est très certainement déçu. En revanche, si on se laisse transporter par la proposition visuelle, qui parfois est presque un documentaire architectural, on peut en revanche être servi avec ravissement. Comme moi, chaque fois.
Chez les frère Coen, c'est différent. L'histoire est 50% du plaisir. Mais le ton...wow! ce ton...
Je l'ai dit souvent, j'ai acheté le dvd sans avoir vu Inside Llewyn Davis des frères Coen sur la seule promesse de sa bande-annonce. J'avais suffisamment confiance à l'univers des frères Coen et je ne me trompais pas. Je revois ce film une fois par année tellement il me plonge dans un état de fascination perpétuelle. L'hiver, l'époque, la musique, le personnage principal dont la courbe narrative reflète en partie la mienne dans le milieu artistique, l'humour toujours subtil et délirant des frères Coen.
J'ai aussi écouté les trois saisons disponibles de Fargo sur Netflix, récemment, qui sont trois saisons aux intrigues "fermées", c'est-à-dire qu'elles ne laissent pas place à une nécessaire suite, on a une fin précise chaque fois. Fargo est inspiré du film des frères Coen du même nom, et ne reprend que l'univers et l'idée de faire vivre à des personnages ordinaires, des situations extraordinaires, impliquant toujours beaucoup d'hommeries ne tournant jamais dans le sens souhaité. Toujours entre l'humilité et la démesure. C'est extraordinairement drôle, noir, violent par moments, très amusant, et des clins d'oeils, d'une saison à l'autre, nous font applaudir comme des otaries dans nos salons.
L'auteur Noah Hawley a épousé parfaitement l'univers Coen avec le déséquilibre des mauvais choix de vie, l'absurdité rattrapant vite la vie supposée si simple, l'humour déjanté et la vive intelligence que l'on retrouve aussi dans Inside Llewyn Davis et chez les deux frères Coen, en général. Auxquels je suis vendu.
Inside Llewyn Davis, avec ses teintes bleutées, et tous ses choix, m'a fait consommer/acheter le livre duquel il était inspiré, la trame sonore en cd, dur, l'un des derniers que j'ai acheté, et comme je le dis, je réécoute le film au moins une fois par année car il me place dans un véritable état de grâce du premier au dernier plan.

Je suis un très grand fan de l'auteur Thomas Pynchon. Qui n'est pas pour tous, je le concède. Pynchon a un esprit de mathématicien. Une intelligence de nerd. Qui peu sembler faire désordre mais qui est, au contraire, très développée. Pynchon est un célèbre reclus, comme Réjean Ducharme ou J.D. Salinger. Le réalisateur Paul Thomas Anderson, lui aussi un grand fan de Pynchon, avait tenté, d'abord tenté d'adapter son roman de 1990, Vineland, et avait aussi essayé de faire quelque chose avec Mason & Dixon. Mais les livres de Pynchon sont extrêmement durs à adapter en film. Quand Anderson a acheté les droits de Inherent Vice, il a d'abord écrit une très fidèle adaptation de 384 pages du livre de Pynchon. Avant d'en changer complètement la fin, avec la bénédiction de l'auteur secret. Il s'agit de l'unique adaptation cinématographique de l'un de ses romans.
Dès le premier plan*, je suis séduit. Nous sommes en 1970, à Gordita Beach, en Californie, et nous suivront le détective privé Larry "Doc" Sportello, un hippie bien intentionné, mais ridiculement slacker. Ainsi que tous ceux qui l'entourent. La reconstitution d'époque est parfaite. On est parfaitement dans la culture hippie de la côte Ouest des États-Unis post-Charles Manson, et on y parle beaucoup pendant 2h28. Le casting est parfait. Josh Brolin est la contre-partie virile, en policier qui n'est pas aussi éloigné de Sportello qu'il ne le laisse croire. Comme on le démontre avec subtilité vers la fin quand les deux dialoguent les mêmes mots en même temps. Katherine Waterston y est formidable. Joaquin Phoenix, comme toujours, est extraordinaire dans la peau de Sportello.
Une excellente idée d'Anderson (ou de Pynchon, j'y reviendrai) a été de faire narrer tout le film (deuxième plan, aussi merveilleux que le premier) par une amie de l'entourage, Sortilèges, incarnée par la harpiste Joanna Newsom**. Cette idée nous donne une voix hors champs occasionnelle qui valorise tout le style Pynchon qu'on perdrait autrement si on ne gardait que les images. Pynchon aurait souvent discuté de l'adaptation du livre, au téléphone, avec Anderson, en cours de tournage.
La musique, (de Johnny Greenwood de Radiohead et de Neil Young) y est extrêmement adéquate. Les images de Robert Elswit et le feel de 1970 sont fameux. Il y a histoire, autour d'un bateau qu'on ne visitera ni ne verra jamais d'ailleurs, très intéressant, mais justement, les intrigues peuvent paraître lourdes et trop multiples pour certains. Encore faut-il avoir envie de surfer dans ce film.

Et je suis tout un surfeur, en général. Au sens propre comme au sens figuré.

Dans tous ces films, que je possède dans ma vievliothèque, il y a un ton qui me place définitivement dans un état de grâce.

Pour Inherent Vice, Anderson a même concédé vouloir avoir voulu trouver le ton du film de Neil Young de 1974, Journey Through The Past. Comme quoi le ton pesait lourd dans son approche.

(Re)visité Anderson/Pynchon lundi soir.

Bonheur.

Envie de (re)lire The Crying of Lot 49.

La vie est trop courte.

*Le premier plan du film est aussi le premier plan (fixe) de la bande annonce.
**La voix hors champs de la bande-annonce est aussi celle du personnage de Sortilèges/Pynchon, incarné par Joanna Newsom

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