jeudi 24 mai 2018

Philip Milton Roth (1933-2018)

Le souhait de certains juifs est arrivé. Roth est mort.

Élevé à Weequahic, un quartier de Newark au New Jersey, il étudie à l'Université de Bucknell en Anglais puis poursuit des études plus poussées à l'université de Chicago en littérature où il enseignera brièvement dans le programme d'écriture.
Il enseignera plus tard dans sa vie l'écriture créative à l'université d'Iowa, de Princeton, étudiera un temps à l'université de Pennsylvanie avant de se retirer définitivement de l'enseignement en 1991.

Lorsqu'à Chicago, il fait la rencontre déterminante de Saul Bellow et épouse Margaret Martinson. Martinson sera l'inspiration de personnages dans ses livres When She Was Good (Lucy) et My Life As a Man (Maureen).

À 26 ans, inspiré par son ami Bellow, il réussit à faire publier Goodbye, Columbus, 5 courtes histoires traitant  toutes des problèmes et des soucis des juifs Étatsuniens de seconde et de troisième génération. Le livre est un grand succès, même si aux yeux de plusieurs juifs, Roth critique beaucoup trop le judaisme dans son ensemble.
En 1962, il publie son tout premier roman, Letting Go. À nouveau, "être juif" se trouve au coeur de la crise qui déchire un couple dans l'intrigue. Le personnage féminin craint tout le roman que son mari ne la quitte. Ce que Roth fera dans la vraie vie, divorçant de Martinson en 1963.
En 1967, Roth publie When She Was Good pour elle. Ce sera le seul roman de toute son oeuvre mettant en vedette un personnage principal féminin. Martinson, son ex-femme, pour lequel le livre avait été écrit, se tue en 1968 dans un accident de voiture. L'écriture de Roth change dramatiquement.
Prenant de plus en plus part dans les années 60 à des débats publics sur les Juifs en Amérique, il appert que Roth ait de grandes difficultés à accepter certaines attitudes des juifs d'une autre génération. Ceux-ci le lui rendent bien en le traitant de traître. Roth est piqué au vif et écrira Portnoy's Complaint dans cet état d'esprit.

Ce livre le rendra internationalement célèbre. Ce sera un giga-succès, principalement nourrit par la controverse qu'il engrange. Ce monologue d'Alexander Portnoy à son psy a l'effet d'huile sur le feu pour tous ses détracteurs. Selon eux, il est clair que Roth, un juif lui-même, déteste les juifs. Le livre, très drôle, extrêmement cru et sexuellement très explicite (dévoilant alors bien des secrets sur un sujet tabou: la masturbation) le rend multimillionaire.
Deux ans plus tard, il publie une satire de Richard Nixon dans le roman Our Gang. En 1972 il publie le délirant et Kafkaesque The Breast. En 1973, The Great American Novel qui raconte l'histoire d'une équipe de baseball (fictive) qui devient la première a passer une saison complète sur la route après avoir prêté son stade aux soldats de la guerre en 1943. En 1974 il publie My Life As A Man qui aura un personnage du nom de Nathan Zuckerman mais qui ne sera pas le même que celui rencontré/créé des années plus tard. En 1977, il reprend son personnage de The Breast, le professeur David Kepesh, dans The Professor of Desire qui explore des thèmes qui seront chères à toute l'oeuvre de Roth. la sexualité, la jeunesse, l'identité.

En 1979, Roth introduit pour vrai son alter-ego Nathan Zuckerman. Inspiré de ses rencontres avec Bernard Malamud et Henry Roth (aucun lien de parenté) il lance The Ghost Writer. Il renforce par la suite l'idée de l'alter ego en publiant Zuckerman Unbound où les références deviennent beaucoup plus claires. Nathan Zuckerman est un écrivain qui doit vivre avec le gigantesque succès de l'un de ses romans écrits en 1969,  il avait écrit 4 livres auparavant, il a plusieurs maîtresses, il doit se défendre contre la controverse et les menaces qui lui collent à la peau; menaces et controverse venant même de sa propre famille. Beaucoup de parallèle se créent avec la vie de Roth.
Il en consacrera au moins trois livres: Zuckerman Unbound (1981), The Anatomy Lesson (1983) et The Counterlife (1986) qui traitent tous de deuils. Celui de son père, celui de sa mère, de son frère, de ses mariages/liaisons et même de sa carrière. Ils sont tous très intéressants dans la mesure où on devine aussi le germe d'une dépression majeure qui le frappera dès la fin des années 80. Il tente d'écrire une autobiographie afin de rétablir le vrai du faux dans ses oeuvres et sa vie en 1988 mais les gens ne le prennent pas au sérieux et ne croient qu'à moitié ses écrits. Roth se sent futile. Il épouse une amie de longue date, l'actrice Claire Bloom, mais, toujours au coeur d'un marasme mental, il écrit de manière plutôt immature sa relation avec elle et son entourage dans le triste et impudique roman Deception en 1990. Un an plus tard il écrit l'excellent récit Patrimony sur sa relation avec son père disparu. Un très beau roman d'amour à celui qui l'aurait peut-être traité de "bastard" sur son lit de mort.
Déterminé à écrire LE roman qui le rendra immortel et effacera le fantôme de Portnoy, il écrit le très bon et toujours impudique Operation Shylock: A Confession en 1993. L'histoire met en vedette...Philip Roth se mettant à la poursuite d'un autre Philip Roth en Israel, jongleries d'identités sur fond d'intifida. Le livre ne rencontre toutefois pas le monumental succès visé par Roth et il rechute dans une dépression majeure. Il sera même interné un temps dans une aile psychiatrique, toujours avec le soutien de Claire Bloom dont il se sépare finalement en 1995. Il publie cette année là l'excellent Sabbath's Theater inspiré du peintre juif R.B. Kitaj.

En 1996, Claire Bloom publie à son tour un livre sur sa vie, ne pouvant éviter les années d'horreurs avec Roth qui l'ont mené à la ruine.
En 1997 Roth écrit une oeuvre majeure, personnellement ma favorite, American Pastoral. L'histoire d'un couple d'anciennes vedettes de l'école secondaire qui perd le contrôle de ses enfants à l'âge adulte.
En 1998, Roth se sent obligé de répondre au livre de Bloom qui l'accuse de toute sortes de choses et il publie le très drôle (mais toujours cruelI Married a Communist. 

Deux ans plus tard il publie The Human Stain qui sera adapté au cinéma avec Hopkins et Kidman.

Le professeur David Kepesh est de retour dans The Dying Animal en 2001. Il prédit la catastrophe Trump dans The Plot Against America en 2004.
En 2006 il commence la série Nemesis, une série de court roman de moins de 200 pages et lance Everyman qui sera suivi de Indignation en 2008, The Humbling en 2009 et Nemesis en 2010.

Il aura entretemps enterré Nathan Zuckerman dans Exit Ghost en 2007.
Aujourd'hui on enterre un l'un des plus grands écrivains ayant questionné l'identité juive en Amérique.
Un auteur très important et ses fantômes, ses doubles.
Un important témoin de son époque.
Un fameux fou.

Celui qui arrivait à se faire des ennemis plus vite que son ombre aura aussi réussi à se faire de nombreux admirateurs. Robert Daudelin, anciennement à la barre de la Cinémathèque Québécoise entre autre, est un ardent défenseur et fervent admirateur de l'auteur.

So am I
Roth aura raconté l'Amérique mieux que des centaines de discours.
Bye bye Zuck.
Tks for the fun.

Il avait 85 printemps.

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