dimanche 26 novembre 2017

À La Recherche Du Temps Perdu************Les Possédés de Fiodor Dostoïevski

Chaque mois, comme je le fais pour la musique, (vers le milieu) et comme je la fais pour le cinoche (vers le début), je vous parle littérature, du genre qui m'a profondément marqué et je tente de vous dire comment et pourquoi.

Lire c'est penser, réfléchir, parler à un ami, l'écouter, l'entendre, le comprendre (ou pas), s'immiscer dans une réalité qui n'est pas la nôtre, c'est oser braver ses préjugés, c'est s'ouvrir, découvrir un nouvel angle sur les choses, la vie, l'autre, sur soi-même. C'est prêter une oreille à des confessions, une culture, des moeurs, des fantasmes, c'est avoir l'oeil et la tête sur de nouvelles conceptions, se permettre un nouveau regard. C'est généreux, si on le veut. Générateur aussi. C'est forger ses propres idées à partir de la vision d'un autre. C'est confronter ses perceptions, écouter une musique, suivre un rythme, en faire naître de nouveaux. C'est découvrir l'écho d'un peuple qui ne sera jamais le nôtre. Lire c'est explorer sous une nouvelle lumière, c'est s'ouvrir les sens et s'agrandir les corridors mentaux. C'est se balader sur la plage du monde entier qui le compose. C'est danser sur le cerveau d'un(e) autre. C'est apprendre la vie par les yeux et les mots. Par le moteur de la pensée redessinée. C'est un regard, une inspiration, un souffle.

Lire c'est visiter la vie des autres et un peu la nôtre aussi.

Lire c'est pour moi respirer. C'est aussi beaucoup mon métier premier.

LES POSSÉDÉS de FIODOR DOSTOÏEVSKI

Le livre est d'abord publié en feuilleton entre 1871 et 1872. Payé à la page, Certains Russes étiraient volontairement des récits, sur la passé de certains personnages secondaires entre autre, et Fiodor étaient de ceux-là.
Devenu conservateur et nationaliste, Dostoïevski exprime dans ce 13ème roman, la confrontation entre héros conservateurs (comme lui) et les socialistes et les nihilistes. Il voulait exposer le libéralisme des années 1840 face au nihilisme des années 1870. Le livre se trouvera, au final, une critique de toutes les idéologies.

L'assassinat de l'étudiant Ivanov, pour insoumission, par le chef de l'organisation Narodnaïa Volia, une organisation anarchiste et terroriste, jouera un rôle important dans la genèse de l'oeuvre.

Stravoguine envoûte tous ceux qui l'approchent, hommes comme femmes. Il ne trouve de limite à son immense orgueil  que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdité de la liberté pour un homme seul et sans raison d'être. Tous les personnages de ce roman sont possédés par des démons. Le titre original russe serait d'ailleurs une traduction plus précise: Les Démons. Mais plusieurs traductions, dont la mienne, ont été Les Possédés. Les démons qui habitent les personnages sont le socialisme athée, le nihilisme révolutionnaire ou la suspension religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces idéologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la société et peinent à cohabiter ensemble. Elles appellent à un terrorisme destructeur, comme ce qui aura coûté la vie à l'étudiant Ivanov dans la vraie vie Russe, en novembre 1869.

On a censuré "la confession de Stravoguine" qui devait paraître en fin de deuxième partie (de trois).

Les socialistes, athées et progressistes ont vu alors, à juste titre, un pamphlet contre leurs idéologies et ont vivement réagi. La critique populaire avait alors été assez raide envers l'oeuvre. Sous le régime soviétique, le roman ne sera jamais édité de la sorte. Pas avant 1935. Les censeurs soviétiques n'aimaient pas la direction du livre qui ne prend pas vraiment clairement position, mais qui dresse des portraits de chaque idéologies peu flatteuses. Bien que conservateur, Fiodor surfait sur une certaine part de nihilisme. On a l'impression, en lisant ce livre, que l'on nous donne accès à un milieu underground malsain, qui ne peut que dériver. Et qui le fera. Un équivalent de "la meute" soviétique. La pertinence de ce livre reste totale de nos jours.

Fiodor annonçait les dérives totalitaires du XXème siècle.

En janvier 1959, Albert Camus, qui découvre le livre à 20 ans et en reste lourdement marqué, l'adapte pour le théâtre. On reprendra son adaptation en 1972.

Au cinéma, le polonais Andrzej Wajda en fait un film en 1988

Le fameux livre, dont j'ai une copie fort usée, est une sombre tragédie d'amour et de mort, et une incarnation géniale des doutes et des angoisses de Dostoïevski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. Dès 1870, Fiodor flairait les faiblesses de l'Homme.

À lire assez serré et rapidement (si on a le temps: 700 pages) car sur une longue période entre chaque lecture on peut en perdre le nom des personnages et être forcé de revenir derrière.

Philosophie, politique et réflexions métaphysiques pour ce brillant livre prophétique, magique et clairvoyant face aux dérives futures du totalitarisme.

Toujours toxique, dans nos vraies vie, pas juste en Russie, 146 ans plus tard.

Aucun commentaire: