10 août 1901.
Charlotte Anne Moberly, 55 ans et Eleanor Jourdain, 38 ans, deux anglaises, visitent le château de Versailles.
Moberly, directrice du Winchester College puis de Oxford, pense faire de Jourdain son adjointe. Elles doivent donc apprendre à se connaître davantage. Une visite au Palais de Versailles semble alors appropriée.
Étrangement, les deux femmes fort éduquées mais très conservatrices, ne sont pas du tout impressionnées par leur visite. Elles choisissent alors de faire une marche dans le jardin du Petit Trianon. Il fait chaud, humide et orageux. les deux femmes se rendent jusqu'au Grand Trianon et bien vite se perdent. Les deux femmes se sentent soudainement opréssées mais ne s'en font pas part ni à l'une, ni à l'autre. Elles aperçoivent sur le bord du chemin deux hommes portant un long manteau et un tricorne, bêches à la main, qui leur indiquent le chemin ; des jardiniers, pensent-elles. Arrivées près d’un cottage, Eleanor Jourdain remarque à l’intérieur une petite fille d’environ 12 à 13 ans et une femme. Toutes deux portent un costume d'époque. Elles arrivent à un pavillon chinois qu’elles prennent à tort pour le Temple de l'Amour. L’atmosphère devient de plus en plus pénible. Moberly, en particulier, se sent prise d’angoisse lorsqu’un homme assis au pied du pavillon tourne vers elle un visage menaçant et pourri par le vérole.
C’est alors qu’un autre homme, grand et beau, cheveux bouclés sous un chapeau à larges bords, passe en coup de vent enveloppé dans une cape noire ; il s’arrête près d'elles et leur sert un laïus dont elles ne comprennent qu’une chose : il faut tourner à droite. Les visiteuses arrivent près d’une petite maison aux volets clos. Sur la pelouse, Moberly voit une femme portant une robe de style particulier (un fichu vert et un chapeau blanc) en train de dessiner. La femme lève la tête et de nouveau Anne Moberly ressent une impression désagréable. Les deux femmes arrivent à la hauteur de la maison suivante. Une porte s'ouvre, en sort un jeune homme qui leur donne l’impression d’être un serviteur. Elles veulent s’excuser, pensant être sur une propriété privée, mais l’homme les mène jusqu’au Trianon proche où elles sont brusquement environnées par une noce en cours. Elles quittent les lieux d'un pas vif et retrouvent leur chemin sans se parler de ce qui vient de se passer.
Quelques jours plus tard, Anne Moberly demande à Eleanor Jourdain si celle-ci croit que Versailles lui a paru "hanté". Jourdain répond par l'afirmative. Elles acceptent d'écrire leur expériences mutuelles et de les comparer par la suite. Elles s’interrogent toutes deux sur la cape portée bizarrement par l’homme aux cheveux bouclés en ce jour de grande chaleur ; son attitude, son air amusé leur semblent étranges et non-naturels. Mais c’est seulement en novembre, lorsque Eleanor Jourdain se rend à Oxford où Annie a depuis trois mois repris ses fonctions de directrice, qu’elles discutent plus longuement de leur expérience. Le fait que seule Eleanor ait vu la femme et la petite fille et que seule Annie ait vu la dessinatrice les trouble. Mademoiselle Moberly, justement, a vu un portrait de Marie Antoinette récemment. La reine lui a paru étrangement ressemblante, pour le visage et les vêtements, à la femme de la pelouse. Elle se renseigne auprès d’une Française qui confirme que des rumeurs courent depuis longtemps sur la présence du fantôme de Marie-Antoinette à Versailles.
En retournant à Versailles en Janvier 1902, les deux femmes apprennent que Marie-Antoinette se trouvait au Petit Trianon le 5 octobre 1789 lorsqu’on lui annonça la marche du peuple vers Versailles qui mènera à sa mort. Moberly et Jourdain ont encore des perceptions étranges, dont celle d’une musique qu’elles essaient de se remémorer pour la faire identifier. On leur assure qu’il s’agit d’un style des années 1780. Elles visitent encore une fois la zone du Petit Trianon en 1904. Au cours de leurs recherches, elles pensent se rappeler la présence d’une charrue qui n’existait pas en 1901, de même qu’un pont qu’elles avaient franchi et qui a disparu. Elles découvrent que les «jardiniers » portaient un costume similaire à celui des gardes suisses de la reine et que la porte d’où est sorti le serviteur est condamnée depuis longtemps. Elles identifient l’homme au visage corrompu par la vérole comme étant celui du comte de Vaudreuil.
Elles ne parleront de leurs visions à d'autre que lors de la parution de leur livre An Adventure, publié en 1911. Et encore là, elles le font dans l'anonymat sous les pseudonymes d'Elisabeth Morison (pour Moberly) et de Frances Lamont (pour Jourdain). Le livre fait fureur et est discuté par The Journal of Parapsychology, The Journal of the American Society for Psychical Research, The Journal for Psychical Research in London et Proceedings of the Society of Psychical Research in London. On pense qu'elles auraient vécu une rétroaction spatio-temporelle. On pense aussi (très sérieusement!) que les deux femmes auraient visité la mémoire d'une jardinier de Versailles(!!!).
L'identité réèlle des deux femmes n'est révélée qu'en 1937, à la mort de Moberly (Jourdain est décédée en 1924). Quand les gens apprennent que cette expérience à été vécue par deux femmes sérieuses et respectées, l'histoire redevient populaire, voire crédible.
Toutefois la théorie la plus plausible est la suivante.
Le comte Robert de Montesquiou-Fézensac, dandy voisin du château de Versailles, et inspiration du Baron de Charlus dans À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, tenait régulièrement des virées costumées entre amis. L'idée de se traverstir n'entrait pas dans la tête de gens aussi conservateurs que Moberly et Jourdain.
Probablement que les deux dames sont entrées en plein coeur de l'une des ses journées costumées où chacun y était particulièrement bons dans leurs rôles respectifs.
Le dernier film de Woody Allen, Midnight In Paris, qui m'a conquis dès la deuxième minute (18 secondes) s'inspire légèrement de cet incident.
Inutile de préciser que le film est un chef d'oeuvre.
(Humblement dans mes yeux/mes oreilles)
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