vendredi 9 mai 2025

Le Chauffeur & L''Éploré

(à G.D.)

En tant que chauffeur, on apprend des choses. 

Entre autre ceci: Certains passagers vous donne une destination, d'autres vous livrent un chapître qu'ils n'ont jamais lu à voix haute. 

Il portait un morceau trois-pièces trop serré pour être neuf.  La poussière y était pâle. Col pressé, bouton du haut boutonné, coeur frippé. "Cimetière de Monaco" a-t-il simplement dit. On ne s'est pas regardé, le genre de suspension du temps qui ressemble à quelque chose comme quelqu'un qui retiendrait son souffle. Je lui ai demandé si il voulait que je mettes de la musique dans le taxi. Il a secoué sa tête, négativement. 

"Non, elle n'aimait pas le bruit" Après avoir fermé les yeux, et les avoir rouvert, il a marqué un temps, puis a dit: "Elle disait que le silence dit la vérité plus rapidement". Puis il a regardé par la fenêtre, comme si il demandait la permission de se décomposer. Il ne voulait pas de musique mais ses doigts pianotaient sur ses genoux, cherchant le rythme du calme. Mais elle n'aimait pas la pluie. 

Pluie qui commençait à tomber comme si le ciel pleurait pour lui. Doucement. Le son de la pluie ne mentait jamais, disait-elle, apparemment. 

"Ce n'était pas ma femme" a-t-il dit. "...ni ma soeur, ni ma mère...elle était la "presque" jamais abandonnée, celle qui ne m'avait jamais quitté, sans toutefois jamais arriver..." Plus doucement encore, il a ajouté`"...Elle m'a appris à attendre, je n'ai juste jamais appris à arrêter d'attendre".

Un ange est passé dans l'humidité qui habitait désormais le taxi. Il a reprit:

"Elle ne s'est jamais marié. N'a jamais vraiment essayé d'y penser." Il a rit, doucement. Comme épaté de la chose. "On a jamais cessé de se parler de timing...mais peut-être que le timing se déguisait en destin..."

"Chaque fois qu'on se voyait, c'était comme si on retenait nos souffles mais qu'aucun des deux ne voulaient expirer."

Elle est décédée il y a 2 semaines. Un voisin avait avisé l'homme, ayant lu son avis de décès. Il lui avait dit que ce ne serait pas juste de ne pas se rendre à ses funérailles, même si officiellement, il n'avait jamais été de son histoire. 

L'homme reprit pour le chauffeur de taxi que je suis, toutes ouïes de sympathies, en regardant ses mains l'une dans l'autre:

"Mais certaines histoires vivent entre les lignes et j'y était toujours, dans la marge". 

On a conduit en silence. Un silence soudainement remplit d'importance. 

Il a brisé le silence. "C'est bizarre de se sentir endeuillé de quelque chose qui n'a jamais tellement existé". 

J'ai parlé pour la première fois: "Non, parfois les "passé proches" sont plus bruyantes que les certitudes". Il a semblé d'accord des yeux, a presque souri. a ajouté en regardant au sol :"Ça ne vous quitte pas. Ça fait de l'écho dans le vide de la poitrine. Dans le silence de parcelles de jour, là où vous vous pensiez en sécurité". 

À la clôture du cimetière, il s'est assis un peu plus longtemps sur un banc. Après avoir passé quelques minutes devant sa tombe, puis de revenir à l'entrée. Je l'ai rejoint.

"Je ne suis pas allé à ses funérailles." il a laissé passer un temps. Plongé dans des souvenirs. "Elle écrivait des notes sur des napkins. Elles étaient moins mençantes pour elle que sur du papier". Il a ri.

Il en sorti une de sa veste, l'a dépliée, l'a lu pour lui-même, a fermé les yeux. La repliée et replacée dans sa veste. "Chaque fois que je sortais, c'est la première chose que je gardais sur moi, avant les clés d'auto, avant le portefeuille, avant le téléphone. Toujours. J'ai gardée celle-là ".

Comme je le regardais il a sondé mes yeux aussi afin de savoir si je voulais savoir ce que la note disait. j'ai souri de sympathie. Il a pris ça pour un oui à une question non posée. Il me l'a lue:

"Un jour, nous serons dans la même ville, au même moment et ne prétendra pas que sera une coïncidence." Il a ensuite fermé les yeux. Les offrant au soleil. "Je supposes qu'on a manqué de jours". 

Il a ensuite murmuré "Peut-être que c'est toujours ce qui étais promis. De ne jamais arriver. De simplement orbiter". 

Il s'est levé, s'est dirigé vers la chapelle, a repris sa napkin. Il la tenait comme si elle allait disparaître si il fermait les yeux trop longtemps. À la porte de celle-ci, il s'est arrêté. Solonnel. Replaçant la napkin dans sa veste. S'est relevé les épaules. Comme si il s'était dit que si elle avait été la question à laquelle il n'avait jamais pu répondre, il serait une réponse vivante quand elle serait morte. 

Pas pour s'expliquer. 

Pas pour réécrire le passé.

Mais pour doucement confirmer que certains amours n'ont pas besoin de noms pour être vrais. 

N'ont ni même besoin de chances.

Juste d'une présence. 

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