1) Il n'existe pas 2 personnes sur terre qui s'entendront sur le genre attitré. Ou sur ce qu'est-ce qui en ferait les frontières.
2)Les artistes eux-mêmes détestent se faire étiqueter sans leur consentement.
Le shoegaze ne fait pas exception. Le nom est issu du Royaume-Uni où on voulait être péjoratifs envers ceux et celles qui aimaient un certain style de musique, mais ne le dansait pas. Introverti ou éponge des sons proposés, inertes, on les imaginait se regarder les souliers pendant les spectacles en savourant leurs artistes. De plus, les guitares avaient des pédales donc se jouaient autant des doigts que du pied.L'insulte est devenue badge d'honneur. Ce qu'ils ne comprenaient pas, c'est que c'est de la musique pour rêver. Émotivement, c'est vrai qu'elle nous fait visiter nos intérieurs. Mais l'art, c'est ça, aussi. Des voyages intérieurs. Et si j'ai eu en horreur le grunge, dans les années 90, le shoegaze a été mon point d'accroche à mon époque. Enfin, mon lien avec les guitares qui se réinventaient avec brio et originalité. Quand Jesus & Mary Chain a lancé Psycho Candy en 1985, j'avais 13 ans. Je devenais un croisement de Ian McCullough & Robert Smith. J'avais même connu un immense succès auprès des filles, au second party de ma vie, en portant du eyeliner et du rouge à lèvres comme Smith sous cette couette qui me tombait sur un oeil.
Le shoegaze avait semé ses racines. Et les souliers marcheraient encore longtemps. C'est effectivement sous le pied que les pédales des guitares, Sonic Youth, Nirvana, U2 et R.E.M. en tête, allaient créer des sons formidables. De la guitare riche et sous stéroïdes. Un son qui avait des couleurs et qu'on pouvait goûter et sentir. Les Pixies tenaient aussi le relais. Des loops elliptiques, du croisé synchropsychadélo aérien. Des voix, de la base, de la batterie, surtout des guitares aux grains riches. Tout ça se croisant ensemble pour vous arracher du sol, pour vous envelopper dans de la chaleur de soie, vagues texturées, crescendos hantés, rematérialisés à nouveau par la forte effervescence envoûtante toute en étincelles de pur plaisir sonore. En tout cas pour moi.Un très subjectif top 10 personnel des mes 10 albums préférés dits: Shoegaze. Mais les étiquettes, vous savez...
Par ordre d'amour, mon préféré, à la fin:
Kitchen of Distinction: Strange Free World (1991)Au CEGEP, c'est Claude Rajotte de Musique Plus qui nous avait enligné sur ce band de Tooting, dans le sud de Londres qui nous offraient son second album. C'est le (désormais) bon docteur Breton qui l'achetait en CD et on lui avait copié sur cassettes. Leurs guitares suggèrent à la fois Neil Young, à la fois Echo & The Bunnymen, dont le producteur se trouvait d'ailleurs derrière la console. Il y a des effluves dans la voix et dans le style de James, et certains diront qu'ils ne font pas shoegaze. Mais les rois de la pédale à guitare pensent le contraire. Car elle s'agite ici beaucoup. On avait charmé avec ça à la radio du "Dégagé" du CEGEP Ste-Foy.
Ride: Nowhere (1990)
Les membres du band d'Oxford étaient à peine adolescents quand ce premier album a été lancé, à l'aube des années 90. Croisement de Sonic Youth, The Stone Roses, The Cure et My Bloody Valentine, ça ne pouvait que me plaire. Avec un peu de la basse de Paul McCartney (dans le style) et de la batterie lourde de Bonzo sur When The Levee Breaks. Mélancolie, violon, romantisme post-adolescent (ils le sont tous, ados), parfois presque pop traditionnel, mais aussi, riches en cordes texturées.
Slowdive: Souvlaki (1993)Le 2e album du band de Reading, Berkshire, a une femme parfois à la voix, à la guitare et aux claviers. Le shoegaze a souvent cette présence féminine au sein d'un band, et pas tout le temps à la voix. Rachel Goswell est cette femme au sein du band. Elle a la voix d'une fée. Un morceau de Lee Hazelwood, et deux collaborations avec Brian Eno ne pouvaient que me charmer. Le reverb et le feedback sont ici, assez exquis.
Lush: Lovelife (1996)50% de ce band, est féminin. Et Micky Berenyi & Emma Anderson seront dévastées de perdre leur meilleur ami, le batteur Chris Acland, qui choisit de se prendre cette année-là. Elle décideront de ne plus exister en temps que groupe. Jarvis Cocker de Pulp fait un duo avec Micky sur cet album. Les deux premiers morceaux de ce disque me sont indissociables. Je les fais toujours jouer ensemble. J'adore ce combo. Les voix de Berenyi & Anderson sont très harmonieuses et leurs guitares sont très intéressantes. Trop Britpop pour certains.
Lilys: In the Presence of Nothing (1992)
Dès le début, on a droit à 5 riches minutes toutes en textures de guitares, du fuzz et de la subtilité et de la voix éthérée. Les mélodies circulaires sont punchées. C'est du musclé tout en restant planant. Les vagues musicales à 6 cordes s'entrecroisent entre les deux guitaristes, Kurt Heasley et Archie Moore et son océaniques. C'est mon fils qui me disait que pour que j'aime, on dirait que ça prend toujours de la guitare. Souvent, oui. Mais j'aime ce qui est riche et généreux en sons, et Lilys me donne, sur leur premier album, tout ça. L'année que je rencontrais aussi, la fleur de ma vie. All Natural Lemon & Lime: Turning Into Small (1998)Vers la fin des années 90, les bands shoegaze commençait à battre de l'aile. Ils se séparaient où ne proposaient plus aussi intéressant qu'avant. All Natural Lemon & Lime arrivait comme un rayon de soleil en direct de l'habituellement rock, crooner ou rap New Jersey. Sans être un album qui allait ressusciter un genre mourant (il ne mourra pas, il se transformera comme tous les genres), cet un effort ambitieux, généreux, cosmique, désorientant, genre d'entre deux albums que serait un projet parallèle de Radiohead. Un album qui gardait la flamme allumée.
The Brian Jonestown Massacre: Methrodone (1995)Anton Newcombe est hanté par l'invasion britannique des années 60 et le shoegaze naissant des années 80. Sur le premier album de son band, il croise les deux époques avec une voix spatiale et ouvre du même coup une période hypercréative où il pondra pas moins de 7 albums en 3 ans. Pyschédélique indien, Mod-punk new wave, Dylanesque folk, sitar à la Harrison, il est sur la fréquence fuzz. Excellent en fumant un Roger. (faites vos recherches).
Blonde Redhead: 23 (2007)Je les ai vus en spectacle en 2008, en tournée pour cet album. Magique soirée. Leur 7e album dont le morceau titre est tout simplement délicieux, est aussi spontané que grave et bien nourri en instrumentalisation. On oublie souvent qu'ils ne sont que 3. Les jumeaux italiens Simone et Amadeo Pace et de la japonaise Kazu Makino (aussi épouse d'Amadeo) offrent du spirituel et de la diffusion sonore qui donne parfois que la musique vient du ciel. Élégant autant que vigoureux et rythmé.
Asobi Seksu: Citrus (2006)Encore une chanteuse d'origine japonaise, relocalisée en Californie. Les sons semblent issus de cet agrume qui fait grincer des yeux, avec des guitares qui harmonisent le "noise". On a comparé la voix de Yuki Chikudate à celle d'Elizabeth Fraser des Cocteau Twins. Nü-gaze qui préface ce que seront DIIV ou Ringo Deathstarr, cet album sucré offre de l'intéressant fuzz, une voix des anges dans un tourbillon psychédélique. Rayons de soleil shoegaze. Le band s'est sabordé en 2013. Après 4 albums. C'est leur second. Ils se sont d'abord appelés Sportfuck. Avant qu'on leur conseille moins censurable.
My Bloody Valentine: Loveless (1991)
Je ne dirai jamais assez de bien de cet album qui EST le shoegaze en ce qui me concerne. De mon oreille, tout ceux et celles qui ont fait du shoegaze passé 1991, ont pigé dans les textures de cet album parfait pour moi, album dont je suis incapable de sauter un morceau, que ne me lasse pas de réécouter, facilement dans mes 5 préférés à vie, tous genres confondus. Flou, brumeux, plein de feedback, noise, parfois presque motorisé, filtré par la voix merveilleuse de Bilinda Butcher ou le ton charmant de Kevin Shields. Tous mes sens sont activés à l'écoute de cet album. Son impact sur moi est immense.Mentions honorables: Heaven or Las Vegas de Cocteau Twins (1991), Darklands de Jesus & Mary Chain (1987), Mezcal Head de Swevedriver (1993), The Confort of Madness de Pale Saints, 7 de Beach House (2018), Pet Grief de The Radio Dept (2006).
Et les femmes du shoegaze, après Shakira, sont tellement les plus belles. Nah!