jeudi 18 février 2016

Judas, Jutra

C'est terrible de se sentir trahi.

C'est probablement pire quand le bourreau est décédé, innateignable.

Claude Jutra était atteint de la maladie d'Alzheimer quand il a sauté du pont Jacques-Cartier en 1986. Les mauvaises langues diraient qu'il avait beaucoup à se faire oublier. Comme cette déviance envers les enfants.

Les allégations de l'enseignant et auteur Yves Lever étaient si graves sur les tendances pédophiles de Claude Jutra qu'elles avaient devancé la publication de son livre sur le cinéaste.

"Je l'ai eu comme enseignant, il n'a jamais aimé Jutra, je suis d'abord étonné qu'il ait choisi d'écrire sur lui." a mentionné un cinéaste et ami personnel.

Ouais, mais ceci explique peut-être cela, On disait de Jutra qu'il était collant, fatiguant, toujours en train de se frotter contre toi ou en train de te toucher...

"Tant qu'une victime ne sortira pas du placard et ne portera pas d'accusations, on ne parlera que d'allégations" disait le directeur de la Cinémathèque Québécoise en ondes à la radio mardi dernier.

Les 4 pages sur le sujet d'Yves Lever auront secoué les morts. D'abord la mort qui était en celui qui est finalement sorti du placard. Abusé dès l'âge de 6 ans et ce jusqu'à ses 16 ans. Jusqu'à ce qu'il frappe Jutra au visage quand celui-ci a tenté de lui entrer son appareil dans la bouche.

Une vie sapée. Volée. Salie. Crochie.

Trahie.

Ce doit être atroce de vivre une telle chose. Un abus aussi sordide. Garder ça en soi doit donner l'impression d'être souillé, sale, si imparfait que sa propre estime de soi doit être complètement tordue. Combien de gens trouvons-nous erratique, cachent de tels secrets en soi?

Ce doit être extraordinairement difficile de conjuguer envier de vivre, envie de dévoiler et envie de passer à autre chose.

Ce doit être la plus grande impuissance morale.

On voudrait parfois l'ombre nettement à l'ombre, mais quand elle refait surface, on doit revivre des cauchemars difficilement enfouis et avoir l'impression que cette mort, ce mal absolu, tout jeune, est sans fin.  Que la vie n'est que douleur.

1-888-933-9007.

C'est le numéro magique pour les victimes d'agressions sexuelles.

Magique parce que ça prendra une certaine part de tromperie de la réalité pour soigner tout ça.

On ne déterrera pas Claude Jutra pour le pendre.
C'est déjà fait de toute manière.

On a changé le nom de la salle à la Cinémathèque, une salle où j'ai beaucoup travaillé.

On changera peut-être le nom des trophées honorant le cinéma Québécois qui seront remis le 20 mars prochain. On a amplement le temps de le faire. On dit le cinéma Québécois si mélancolique, pas besoin de le rendre plus douloureux.

Le Pédophile sera de toute façon aux Jutra le 20 mars prochain. Il s'agit, croyez-le ou non, du titre d'un court-métrage de fiction en nomination. Ça ne s'invente pas!

Vous croyez que les cotes d'écoutes seront encore faméliques pour le gala des Jutra à la télévision?
Pas cette année. On voudra voir comment les gens gèrent la controverse. Les animateurs, les présentateurs, les gagnants. On repelletera des cendres, croyez-moi.

On secouera le placard des victimes.
Eux, détourneront peut-être le regard.

Voulant passez à autre chose. Choisissant un autre type de lumière.
Ils savent c'est quoi regarder ailleurs.
Ils connaissent le réflexe.

1-888-933-9007.

La chose la plus simple à faire pour les victimes.

Et la plus dure à remuer dans le monde intérieur des victimes.
Un monde violé.
La bonne chose avec les cauchemars c'est qu'ils ont une fin.
Mais qui en choisit la fin?
Celui qui cauchemarde ou celui, celle, ceux qui te sor(te)s des limbes?

On a déboulonné une statue dans le monde du cinéma Québécois.
On a aussi gratté de vieilles plaies.

Trahir l'enfance c'est tout simplement impardonnable.


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