mardi 15 mars 2011

Zabriskie Point

J'ai souvent aimé Antonioni.

Pas pour sa narration autant que par la nature existentialiste du rythme qu'il imposait à ses films.

J'avais d'abord vu sa trilogie de l'aliénation par le biais d'une amie qui possédait deux des trois films si rare à trouver en sol d'Amérique.

L'avventura, La Notte, L'eclisse.
1960, 1961, 1962

J'avais beaucoup aimé ce qui m'avait semblé trois films traitant d'un même état d'esprit: la déroute d'un homme(ou d'une femme) dans un monde qui lui échappait peu à peu.
Ou qui le déstabilisait. La stabilité est si peu cinématographique.

Et un rythme, une sensualité, une photographie rare. Qui prenait le temps de nous coller à la peau comme un soleil plaque ses rayons sur notre corps. Un soleil de nuit. Un soleil noir.

Quand j'ai vu Blow-Up, le premier volet d'une autre trilogie, de films produits par Carlo Ponti à être tourné en anglais pour le marché international, j'ai capoté. D'une exceptionnelle modernité, le film questionne les rapports entre le réèl et l'illusion au travers du parcours d'un photographe de mode qui redécouvre l'épaisseur d'une réalité qui échappe à ses desseins. Avec une grave et troublante Vanessa Redgrave.

Puis j'ai vu Par-Delà Les Nuages qui m'a déçu. Premièrement parce qu'il piquait, mot pour mot, un titre de projet que j'avais et que j'ai dû changer. Mais surtout parce que, guidé par la main bienveillante de Wim Wenders, il tournait un film libidineux et sénile à mon humble avis(il avait alors 83 ans) toutefois sauvé par la photographie (encore).

J'avais entendu/lu tant de mal sur Zabriskie Point que je n'avais jamais osé m'y risquer. Il est listé dans les "pires films jamais réalisés (et pourquoi il l'ont été)" et a aussi été étiquetté "l'un des plus extraodrinaires désastres cinématographiques dans l'histoire du cinéma moderne".

Avec un built-up comme ça...

Et pourtant je suis passé de surprises en surprises.

Tout d'abord la trame sonore, Pink Floyd, The Grateful Dead, The Rolling Stones, tous des héros à moi.
Puis Sam Sheppard et Clare Peploe au sein de l'équipe des 5 scénaristes (5 scénaristes pour cette histoire? vraiment?)
J'aime bien le premier et la seconde était la femme de Bernardo Bertolucci, un réalisateur que j'aime beaucoup.
Le début du film, quasi documentaire, qui nous force à baigner dans le Los Angeles étudiant de 1968 est extrèmement efficace. On a même une éminente membre des Black Panthers à l'image et au son.

On entre ou on entre pas. Je suis rentré.

Ses deux acteurs non professionnels, Mark Frechette et Daria Halprin jouent si mal qu'on croit davantage suivre deux jeunes en docu-fiction. Même les quelques pros, Rod Taylor et G.D. Spradlin, avaient la réputation d'être de très mauvais acteurs. Des gueules de 1957 gélées dans l'espace-temps en tout cas. Ça aussi, ça m'a plu. Pour rajouter à cet effet de réèl, Frechette et Halprin jouent leurs personnages sous leur vraie identité baptistaire: Mark et Daria.

La cinématographie de Alfio Contini est le véritable héros de cette histoire relativement austère. Des images de Contini et des choix de plans d'Antonioni à couper le souffle. Le désert de Death Valley n'a jamais semblé aussi attirant. La fuite encore, dans l'oeuvre d'Antonioni.

Le regard, visiblement désoeuvré, d'un immigrant italien sur des États-Unis qui assurément le dégoûte et le révolte, est extrèmement transparent. Et tout à fait intéressant. Le film a été unanimement détruit par la critique et le public n'a jamais été au rendez-vous. Et ce, même si on a retiré avant la sortie en salle (et en vidéo) la séquence où l'avion de Fréchette affichait une banderole sur lequel était inscrit "Fuck you America".

Une scène de baise glisse en orgie dans le désert quand apparait la troupe d'improvisation The Open Theater tout autour du couple Frechette-Halprin.

C'est aussi à partir de là que le film perd de son tonus. La petite mort qui assassine le film.

Mais reste que cette "capsule de 1968" est fascinante à regarder.

Pas à cause de l'orgie, (franchement pas érotique, petits cochons) mais à cause de ses gros téléphones à cadran, de ses radios "high-techs" placées sous les chics bureaux art deco, de ses chalets "modernes" dans le désert, de ses voitures aussi grosses que des bateaux, de cet esprit de jeunesse de 1968 en conflit avec la vie en général. Avec l'autorité surtout.

On ne sait pas pourquoi il y a conflit au college au tout début.
On ne sait pas pourquoi Fréchette choisit de voler un avion.
On ne sait pas ce qui les motive à foncer tête première.

La jeunesse aveugle, c'est tout.

On est devant un portrait d'inconscience rageur, tourné par un italien amer, dans une Amérique qu'il veut saigner et qui lui inspire le vide.

Zabriskie Point c'est un saut dans le vide en apesanteur.
Avec de la bonne musique dans les oreilles.

Certains films gagnent en qualité avec le temps.
J'étais dans le bon état d'esprit pour Zabriksie Point.

Une noble impulsion artistique, court-circuitée dans un pays étranger.
Tournée par un italien boudeur chez les obèses en devenir.
(Et non je n'ai pas trouvé Harisson Ford à 24 ans, le long du mur parmi les figurants dans la scène de prison)

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