Elle disait qu'elle mélangeait tout, tout le temps tout.
Vie personnelle, vie professionnelle, amour, travail, personnage, personalité.
Elle ne sera pas la seule à mélanger tout ça.
J'avoue que je n'avais vu que deux films la mettant en vedette. Deux films où elle fût primée pour sa performance d'ailleurs. J'ai vu Rocco & Ses Frères cette semaine. Grandiose film. Le film de 1960 de Luchino Visconti nous présente une fantastique Annie Girardot de 28 ans par qui les problèmes arrivent pour Rocco et ses frères. Girardot y brille. Comme si ce type de tempéremment se rapprochait de sa vraie personalité.
J'ai eu l'impression, peut-être comme d'autres, de voir l'esquisse de ce qu'allait être la vie d'Annie Girardot.
Une série de choix pas toujours fortuits, quelques fois vagues, parfois heureux.
Elle n'aura jamais connu son père. Homme marié qui a eu cet enfant d'une sage-femme, il mourra avant qu'elle n'ait 3 ans. C'est le métier de sage-femme que Giradot tentera de faire en premier afin de suivre les traces de sa mère.
Mais elle a du tempéremment et une envie des planches. Elle sort du conservatoire national supérieur d'art dramatique en 1954 et est engagée à la comédie française où elle y consacrera quelques années avant de se lancer entièrement au cinéma.
Luchino Visconti la dirige au théâtre dans Deux Sur la Balançoire et la reprendra pour un grand rôle dans sa carrière, celui de Nadia dans Rocco & Ses Frères. Sur le tournage, Girardot s'éprend de l'acteur Renalto Salvatori qu'elle mariera trois ans plus tard. Ils ont ensemble une fille l'année de leur mariage. Salvatori est ignoble avec Girardot, il la bat et boit continuellement. Ils ne vivent plus ensemble mais sont toujours mariés quand Salvatori meurt d'une cirrhose en 1988.
La nouvelle vague française passe par dessus son talent. Elle est légèrement plus agée que les Seberg, Deneuve ou Karina. Et moins docile. Elle a du tempéremment et les chefs d'orchestres de la nouvelle vague aiment leurs femmes plus passives, décoratives souvent. De plus, elle est installée en Italie avec son rustre de mari jusqu'au milieu des années 60.
Claude Lelouch lui offre un beau rôle dans Vivre Pour Vivre en 1967. Les français l'adoptent tout de suite. Au travers des splendeurs que sont Jeanne Moreau, Françoise Dorléac, Françoise Hardy voilà une femme française comme en voit des milliers, qui a du caractère, émotive à souhait et qui n'est pas laide du tout non plus. Une femme imparfaite face à laquelle il est facile de s'identifier.
Elle tourne avec beaucoup de réalisateurs qu en sont à leur premier film. Des français, des italiens, des russes, des yougoslaves. Pour cette chance qu'elle offre à de jeunes réalisateurs, elle est admirée par son public.
En 1970, elle sera choisie pour jouer Gabrielle Russier, cette enseignante ayant eu une liaison scandaleuse avec un élève mineur et qui se suicidera sous la pression sociale en 1969.
Elle tourne énormément dans une décennie qui lui sera bonne. Drame, comédie, bide, succès, elle tourne jusqu'à 5 à 6 films en moyenne par année. En 1974 elle joue Madame Marguerite au théâtre, un rôle qui lui plait tant qu'elle le reprendra jusqu'en 2002. En 1977, elle reçoit le Cesar de la meilleure actrice pour Docteur Françoise Gailland. À l'écran, elle joue des rôles peu courants pour les femmes françaises, un docteur, une mécanicienne, une chauffeur de taxi, commissaire de police, photographe-reporter. Les français l'aiment dans ses choix frondeurs qui reflètent leurs fantasmes sociétaires. En 1979, devant Romy Schneider, Alain Delon et Jean-Paul Belmondo elle est élue l'artiste la plus appréciée des français.
Quand Girardot fait le souhait d'enregistrer de la musique sur disque, elle fait appel à Bob Decout. Cette relation aura de effets dévastateurs sur sa carrière. En 1981, devenus partenaires, elle donne un virage musical à sa carrière. Elle monte avec Decout deux spectacles de revues musicales pour le Casino de Paris dont la musique est signée Catherine Lara et les costumes Jean-Paul Gautier. Le spectacle est si pénible qu'il peine à trouver son financement. Après un mois de fiasco où, dans les tournées elle enguirlande de la scène le public qui hue Decout, les spectacles sont forcés de cesser. Girardot doit vendre son appartement pour se refaire financièrement. Le couple fait une place à la drogue dans leur vie et dès 1985 le milieu du cinéma lui tourne le dos.
Je suis quasiment persuadé qu'à cette époque, une publicité qui avait son effet sur mon éveil sexuel, utilisait sa voix pour annoncer un vin allemand.
Lelouch la réutilise ponctuellement, Blier lui offre un petit rôle dans un grand film, Les Misérables la ramènent des morts.
Elle rafle le Cesar de la meilleure actrice pour un second rôle pour ce film. Elle livrera un discours douloureusement touchant lorsqu'elle reçevra son prix. Lourd de cicatrices.
Le Québec fait appel à ses services pour L'Âge de Braise en 1998.
Trois ans plus tard, La Pianiste de Michael Haneke lui offre le rôle splendide de la mère à l'origine de la complexité d'Isabelle Huppert qui vaudra un autre César fort mérité à Girardot.
En 2006, on lui diagnostique officiellement la maladie d'Alzheimer qui l'aura emportée mardi dernier.
Elle mélangeait tout, tout le temps à temps plein.
Elle est partie sans souvenirs.
Mais en nous en laissant tout plein.
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