lundi 22 juin 2020

Prisonniers d'une Chanson de Dylan

On peut aimer ou ne pas aimer Bob Dylan. Lui-même ne s'est pas tout le temps aimé.

Mais il a du pif. Je ne dis pas ça parce qu'il est d'origine juive, je ne suis pas si premier degré et se serait culturellement impropre, mais je veux dire qu'il a du flair.

Il y a cette comédie musicale qui avait lieue aux États-Unis, tout juste avant la pandémie. Ça s'appelait Girl From the North Country et oui, tout comme la (double) chanson de Dylan, l'oeuvre off-Broadway était inspirée de tout le catalogue musical du bon vieux Bob.
Dans la narration musicale, on raconte l'histoire de résidents de la classe moyenne du Minnesota des années 30, dans une ville luttant contre La Grande Dépression. À la fin, plusieurs ont perdu le combat. Par suicide, par meurtre, par délire, par rêves brisés, par relations ruinées. Les interprétations des chansons de Dylan visaient la mélancolie avec une emphase sur le fatalisme de son auteur. Du Steinbeck trempé dans le Zimmerman.

Était aussi entendue cette hantée ligne de l'inoubliable hymne de Dylan Like a Rolling Stone quand il a demandé à sa nation de plus en plus individualiste en 1965: "How does it feel, to be on your own?"

La comédie musicale était l'une des dernières oeuvres sur scène à avoir foulé ces scènes de New York avant le confinement et l'abandon des productions. Sa sombre pertinence surprend. L'Amérique du Nord vit ce qu'il y a de plus près de La Grande Dépression. Juste au Québec, c'est 40% du PIB national qui a été perdu depuis le 23 mars, jour de "pause". Plus de 820 000 emplois ont été perdus, n'ont pas tous été réoccupés encore. Le prétendu "rêve américain" s'est frotté aux malades, aux incertitudes et aux fermetures forcées. La violence policière, ici contre les humains autochtones, aux États-Unis contre les humains à la peau noire, n'a fait que rajouter au punch de désillusions dans lequel nous avons tous nos lèvres embrassant la paille, trempée dedans.
(construction de phrase, Jones!)

Plusieurs d'entre nous ont été suffisamment naïfs privilégiés dans la vie pour penser que la société nord-américaine pouvait se définir par la justice et l'égalité. Tout ça a été largement défié. Des monuments d'effondrent au sens propre comme au sens figuré. Les mythes se démystifient, l'histoire se réécrit autrement.

Présentement, on est presque tous prisonniers d'une chanson de Bob Dylan. 

Jeudi soir dernier, j'étais énervé comme une fourmi dans une cuisine suite à la découverte que le vieil homme de 79 ans lançait un 39ème album studio à minuit. Je n'étais plus couchable. L'album est titré de manière très appropriée Rough & Rowdy Ways.
Bob a chanté sur la discrimination raciale, les meurtres non résolus, l'utilisation abusive des gaz par les forces de l'ordre en 1963, il s'est lamenté de la probable (mais très incertaine) non culpabilité d'un boxeur à la peau noire envoyé en prison par de réels racistes, catégorie Trump. 

Souvent, il nous as exposé quelles vies comptaient et lesquelles restaient ridicules et insignifiantes.  Il a souvent traduit la violence et la cruauté humaine et les fausses histoires qu'on pouvaient se raconter sur ce qu'on pensait vivre. Ils nous a platement rappelé, en chantant l'assassinat de Medgard Evers, que plusieurs d'entre nous, les noirs dans ce cas particulier, n'étaient qu'un pion dans leur match d'échec à eux.

Drôle d'ironie en français quand on sait ce que peut aussi être un échec.

L'immersif et plus-parlé-que-chanté dernier album n'est pas un album de chansons militantes. C'est un peu une trance verbale accompagnée de musique sur des paroles presque issues de rêves impressionnistes (Dylan peint aussi). Mais sans se raconter d'histoires, c'est un album qui peint une americana pessimiste. Avec une fièvre hallucinogène, Dylan se révèle en multiples multitudes, en totems de la culture occidentale dans le déclin, la futilité et le déboulonnement.
En lançant son gothique morceau de 17 minutes sur le meurtre de JFK, en mars dernier, on a le feeling que sa ligne The day that they killed him, someone said to me "Son, the age of the anti-christ has just only begun" est une prophétie auquel il a vraiment cru.

L'album n'est que pour les fans fini du vieil improbable Prix Nobel. La musique est en sourdine et c'est sa voix vampirique, sur des riffs de blues ou country, et parfois même pastorale, qui hante le tout. Il nous parle de hantises de toujours. Les États-Unis sont plein de fantômes.

On reste concentré sur la mort (toujours plus près pour B.D.) et la temporalité. Fleurissent les plantes toxiques, d'une chanson à l'autre. Morbide diront certains. Bob n'a jamais cessé de nous parler de pluie lourde ou de nous avertir que certains trains ralentissent. La constante consolation étant qu'il nous as toujours offert de la perspective (le peintre en lui, encore).

À la question pensez vous qu'on a atteint le point de non retour? Dylan a répondu cette année "Seulement pour notre génération. Les plus jeunes n'ont pas tendance à penser ainsi."

Non, les jeunes sont trop occupés à fouler les cratères laissés derrière.
Eux aussi paient et paieront le gros prix de cette foutu Covid qui contamine les boomers et les plus vieux encore. Combien de milliards chiffrent-on les investissements de Trudeau depuis le début de la crise?
480 milliards? Pas même grand-papa Justin paiera ça.

Ma génération en mange aussi beaucoup de la belle marde bien emballée aussi depuis le 13 mars dernier.

Pions dans la game des autres.

Prisonniers d'une chanson de Dylan.

C'est la route rude et turbulente qu'il nous dessine encore assez justement.
Sage mais hardi comme on doit l'être à 79 ans.

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