(pour la semaine de la recherche sur la maladie mentale qui commence demain)
David Foster Wallace savait dès l'adolescence qu'il était atteint de maladie mentale. Il ne savait tout juste pas encore laquelle.
Ce serait la dépréssion.
Il passera sa vie telle une comète dans une interminable blague cherchant toujours la fonction du balai et se demandant, la plupart du temps publiquement, "comment fait-on pour vivre jusqu'à 50 ans dans ce monde sans se tirer une balle dans la tête?"
Il ne le saura jamais.
"fiction's about what it is to be a fucking human being" dira-t-il. Il écrira des essais sur les croisières, la musique, le tennis, utilisera le séparatisme Québécois comme intrigue parrallèle ou suivra John McCain en campagne électorale. Il composera autant d'articles qu'il existe de règles de grammaire (et c'était un junkie de grammaire), il enseignera ici et là, donnera beaucoup de conférence auprès des étudiants dont l'une sera même publiée en livre en 2009, 3 recueils de nouvelles, 2 romans dont un devenu culte et ne passera pas au travers du troisième.
Il se pend le 12 septembre 2008 à l'âge de 46 ans.
Il marque profondément la littérature des États-Unis et l'auteur Jonathan Franzen, lourdement affecté par le décès précipité de son ami, avait alors ceci à dire sur lui:
Comme beaucoup d'écrivains, et probablement plus encore que la plupart d'entre eux, Dave adorait être en contrôle. Il était vite déstablisé par les scènes de chaos social. Je ne l'ai vu que deux fois dans des soirée sans son amoureuse Karen. L'une de ces fois, J'ai dû le trainer de force et aussitôt que j'ai eu le dos tourné il avait fui et était retourné à mon appartement pour mâcher du tabac et lire un livre. La seconde fois, c'est parce qu'il n'avait pas le choix c'était un party pour célébrer le giga-succès d' Infinite Jest. Il a passé la soirée à dire merci avec une formalité extrêmement éxagérée.
Ce qui faisait de Dave un extraordinaire enseignant était la structure formelle du poste. Dans ces balises, il pouvait piger allègrement dans ses naturels tiroirs de gentillesse, énormes et rempli de sagesse et d'expertise. La structure des entrevues était sécurisante de la même façon. Quand Dave était le sujet de la discussion, il pouvait relaxer et s'occuper de l'intervieweur. Quand il était le journaliste, il faisait un sacré bon boulot quand arrivait le moment de trouver un technicien, un caméraman aux trousses de John McCain, un régisseur pour un show de radio-quelqu'un qui n'en reviendrait pas qu'une vedette puisse s'intéresser à leur métier. Dave adorait la nature des détails, mais ceux-ci était aussi un éxutoire de l'amour qui débordait de son coeur, une manière de communiquer, sur un terrain relativement rassurant, avec un autre être humain.
Ce qui était approximativement la définition de la litérature sur laquelle lui et moi nous étions entendu dans nos échanges et nos correspondances au début des années 90. Je suis tombé amoureux de Dave dès sa première lettre, mais les deux premières fois que nous devions nous rencontrer pour vrai, il m'a posé un lapin . Même à partir du moment où nous étions amis, nos rencontres étaient bien souvent agitées, stressantes, précipitées—beaucoup moins intimes et fraternelles que nos correspondances. L'ayant aimé dès le départ, j'essayais toujours de lui prouver que je pouvais être suffisament drôle ou intelligent, et il avait cette manière de regarder au loin silencieusement qui installait une distance et me faisait réaliser que je n'y étais pas encore. Peu de choses dans ma vie me donnait un meilleur sentiment d'accomplissement que de réussir à faire rire Dave.
Mais ce terrain neutre entre nous, afin de communiquer profondément de l'un à l'autre, nous avions décidé que ce serait la fiction. “une route loin de la solitude” était la formule sur laquelle nous nous entendions. Et nulle part ailleurs Dave n'était-il plus beau et plus fantastiquement en contrôle que dans la langue écrite. Il avait une excitante, imposante et inventive virtuosité rhétorique qui surpassait tous les écrivains vivants de ce monde. Loin, au mot 70 ou au 100ème ou au 140ème dans une phrase sans paragraphes de trois pages baignée d'humour macabre fabuleusement auto-suffisante, vous pouviez sentir l'odeur de l'ozone issue de la précision chrirugicale de la structure de sa phrase; ses changements de tons sans efforts parfaitement qualibrés entre dix différents niveaux, du cri au murmure au ton normal, à la technique au style hip, nerd, philosophique, liturgique, vaudevillien, oratoire, au style du dur de la rue, du coeur brisé, en passant par le lyrisme et la musicalité. Ces phrases et ces pages, quand il arrivait à les produire, sur les 20 ans que je l'ai connu, étaient un foyer heureux, un foyer sincère et un foyer confortable. Je pourrais vous raconter des chicanes intestines de notre road trip ou des parfums de thé vert dont il a rempli mon appartement ou je pourrais vous parler de nos étranges parties d'échec et des plus insoutenables parties de tennis qu'on a générés— la rassurante structure des matchs versus la rivalité fraternelle qui bouillait de part et d'autres—mais sincèrement il n'y avait au fond que l'écriture. Les moments d'interaction les plus intenses entre lui et moi ont été cette fois où je me suis intallé seul dans mon fauteuil à lire nuit après nuit pendant dix jours Infinite Jest. C'était le livre qui, pour la première fois, organisait et arrangeait le monde tel que David l'aurait voulu. Au plus microscopique niveau, Dave Wallace était un passionné et précis propositionneur de prose comme il y en a peu sur cette terre. Il proposait dans Infinite Jest des milliers de page de plaisanteries de classe-mondiale, qui, même si la qualité de l'humour ne diminuait jamais, devenait de page en page de moins en moins drôles. Section par section, chapître par chapître et ce jusqu'à la fin du livre, vous sentiez que le titre du livre aurait dû être tristesse infinie. Dave visait juste comme personne ne l'avait fait avant lui.
Et maintenant ce beau, brillant, comique, gentil, aimable homme de l'Illinois à la femme fantastique, aimé et admiré de son entourage , avec une carrière remarquable dans une école toute aussi remarquable avec des étudiants formidables s'est enlevé la vie et nous sommes tous restés derrière à se dire, pour le citer dans Infinite Jest , “So yo then, man, what’s your story?”
Une bonne histoire toute simple, moderne, irait comme ceci: une adorable et talentueuse personalité est victime d'un sévère débalancement chimique dans son cerveau. C'était David, c'était sa maladie, celle qui nous as enlevé notre ami aussi cruellement que le cancer ne l'aurait fait. Cette histoire est aussi vraie qu'inadéquate Si elle vous satisafait, vous n'avez pas besoin des histoires écrites par Dave— particulièrement les nombreuses qui parlent de dualité, de séparation, de gens malades dont il se moquait. Un paradoxe absolu reste que Dave, à la toute fin, s'est contenté de croire à cette histoire et a cessé de se lier aux histoires qu'il avait écrites par le passé et à celles qu'il écriraient peut-être dans le futur. Son côté suicidaire a eu la main haute et a laissé au monde des vivants un lourd sentiment d'abandon.
Mais ceci ne veut pas dire que nous n'avons plus d'histoires à raconter. Je pourrais vous raconter dix versions différentes de cette cruelle journée du 12 septembre, certaines très sombres, certaines très enrageantes, la plupart d'entre elles tenant compte des nombreux ajustement de David dans sa vie d'adulte et de sa première tentative de suicide adolescent. Mais il y a cette histoire pas trop sombre, que je sais vraie, que j'aimerais vous raconter, parce que ce fût un réèl bonheur et un énorme privilège, en plus d'être un constant défi, que d'être son ami.
Les gens qui aiment contrôler tout ont un problème avec l'intimité. L'intimité est anarchique et par définition incompatible avec le contrôle. Vous cherchez à tout contrôler parce que vous avez peur. Il y a 5 ans, Dave a cessé d'avoir peur. C'est arrivé en partie quand il s'est installé dans un situation stable à Pomona avec Karen. Une autre raison de ce bonheur qui se mettait en place était cette femme, la femme de sa vie. Ceci lui a ouvert la porte à toute sortes de possibilités afin d'avoir une vie moins structurée moins rigide tel que son cerveau lui avait toujours commandé. J'ai noté qu'au téléphone, il commençait à me dire des choses comme "I like you, you know" et soudainement je n'avais plus besoin de travailler si fort pour lui faire rire ou pour paraitre intelligent. Sa femme et moi l'avons emmené en Italie pour une semaine de vacances et au lieu de rester dans sa chambre à lire, regarder la télé, ce qu'il aurait fait des années auparavant, il mangeait avec nous sur la terrasse, mangeait de la pieuvre et trainait dans les cocktails avec d'autres écrivains de temps à autres. Il a surpris tout le monde, s'est surpris lui-même en premier. Voilà une activité innocente qu'il aurait faite à nouveau*.
À peu près un an plus tard, il a choisi de ne plus prendre ses médicaments (depuis plus de 20 ans)qui lui avaient quand mêm apporté cette stabilité au bout du compte. À nouveau, il y a beaucoup d'histoires qui varient sur les raisons qui l'ont réèllement poussé à faire cela. Mais une chose me parait claire puisqu'il m'en avait parlé, il voulait tenter sa chance à une vie ordinaire, sans contraintes, sans contrôles de toute sorte, composée de plaisirs simples. Cette décision est née de son amour pour Karen, de son envie d'écrire des textes plus matures, de se construire un nouveau futur. C'était une chose incroyablement épeurante et brave à faire pour un homme à la maturité fragile comme la sienne. Dave était rempli d'amour mais était rempli d'autant de craintes sans ses médicaments — La profondeur de cette tristesse infinie n'était jamais très loin et beaucoup trop facile d'accès.
L'année s'est déroulée en dents de scie. Il a eu une crise en juin puis a eu un été pénible. Quand je l'ai vu en juillet il était maigre comme le gars de 19 ans qu'il avait été dans ses premières grosses crises. L'une des dernières fois que je lui ai parlé après cela, c'était au téléphone au mois d'août, il m'a demandé de lui raconter une histoire où les choses iraient mieux. Je lui ai répété beaucoup de ce que je lui avait déjà dit dans nos dernières conversations de la dernière année. Je lui ai dit qu'il était dans une zone d'ombre terrible et dangereuse à essayer de changer à la fois sa vie d'Homme et son style d'écriture . Je lui ai rappelé que la dernière fois qu'il faisait face à ses démons, il avait plongé dans l'écriture d'un livre, devenu un chef-d'oeuvre depuis. Je lui ai dit qu'il était têtu, un control freak et quelqu'un qui croyait tout savoir. — “toi aussi de tout façon!” M'a t-il répliqué du tac au tac— et je lui ai dit que pour des gens comme nous qui ont si peur de ne plus contrôler quoi que ce soit, quelques fois le seul moyen de nous ouvrir et de nous forcer à changer les choses est de nous amener dans cette zone de misère sur la frontière de l'auto-destruction. Je lui ai rappelé qu'il avait choisit de cesser les médicaments afin d'avoir une meilleure vie, que ses meilleurs écrits étaient à venir. Il m'a dit qu'il aimait beaucoup cette histoire. Il m'a aussi demandé de l'appeller tous les 4 ou 5 jours pour lui en raconter une de même nature.
Malheureusement je n'ai eu la chance de lui en raconter qu'une seule autre histoire depuis, et cette fois-là, il ne l'entendait pas. Il souffrait horriblement de panique et d'anxiété. Les fois suivantes, il ne répondait plus au téléphone et ne retournait plus mes messages. Il était tombé dans le puits de la tristesse infinie, point final de toutes les histoires.
Mais il avait cette ardente innocence.
Et il essayait très fort.
Le Roi Pâle aurait eu 51 ans le 21 février.
*Référence et hommage à A Supposedly Fun Thing I'll Never Do Again, texte de DFW à propos d'une croisière en bateau (une expérience ressemblant à la mienne) qu'il n'avait pas du tout apprécié. DFW apparaît dans l'épisode des Simspons en arrière plan, vêtu d'un t-shirt représentant un tuxedo, ce qu'il avait osé porter lors de la soirée du capitaine.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire