jeudi 3 juin 2021

Cinema Paradiso**************Chinatown de Roman Polanski


Chaque mois, dans ses 10 premiers jours, tout comme je le fais pour la littérature (dans ses 10 derniers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu), je vous parle de l'une de mes trois immenses passions: le cinéma. 

Je l'ai étudié, consommé à outrance, continue de le faire, en ai été multidiplômé, y ait baigné, ait été récompensé au Festival des Films du monde du prix du public, en suis sorti, mais le cinéma ne sort aucunement de ma personne. Beaucoup, beaucoup encore, je le consomme. 

Je vous parle d'un film qui m'a séduit par sa narration, sa réalisation, son audace, sa facture visuelle et auditive, ses interprètes, sa cinématographie, son esthétisme, ses thèmes, bref je vous parle d'un film dont j'ai aimé pas mal tous les choix et tente de vous dire pourquoi.


Je vous écris tout ça, bercé par la trame sonore de Jerry Goldsmith.

CHINATOWN de ROMAN POLANSKI

Le réalisateur d'origine polonaise, le coeur brisé par l'assassinat de sa fiancée et de leur bébé, par la bande à Charles Manson, avait tout de même connu un immense succès avec Rosemary's Baby. Mais ses deux films suivants, MacBeth, mais surtout What? ont été des catastrophes au box office (et critique pour le second) et l'obligeaient "à tourner du meilleur". Et il fera un coup de maître. 

"Êtes vous seul?" se fait demander le détective J.J.Gittes dans Chinatown. "N'est-ce pas que le cas pour tout le monde?" lui répond-il, Bogart style. La solitude est centrale chez les héros/héroïnes de films noirs. Le ton a été établi par Dashiell Hammet, il y a longtemps. Et Raymond Chandler. Le scénario de Robert Towne est un réel hommage aux deux auteurs. C'est Bogart dans The Maltese Falcon ou The Big Sleep. Un personnage qui habite la tragédie à lui tout seul. Bogart, Hammett, Chandler ont peut-être fait les règles, mais les grands acteurs, et les grands Hommes* ne suivent PAS les règles, ils en créent des nouvelles. Jack Nicholson est de TOUTES les scènes. Il joue un bon détective privé triste. 


Le nez écorché par la lame d'un petit loubard (Polanski lui-même), on pense qu'il est un dur, mais au contraire, il bat un homme qui l'emmerde, oui, mais de jour, il se dit dans les affaires matrimoniales, dit des mots comme "métier" (en français) et répond poliment au téléphone avec chic au lieu de japper son nom de famille. Il est vulgaire au bon moment, mais détaché d'à peu près tout. Voilà pourquoi on le trouve sympathique. Il fraie avec l'eau de cochons comme on s'attend des détectives privés, mais ça l'écoeure. Le ton donné au personnage par Nicholson est primordial au style du film.


Towne voulait écrire une trilogie sur la Californie des années 30, sur ce qui composait le pouvoir et provoquait l'avarice. Ça commençait par la gestion et le contrôle de l'eau. Inspiré de ce qui se magouillait autour du drame de 1928 qui avait coûté la vie à 600 personnes dont 42 enfants, dans un déversement d'eau qui avait inondé tout un secteur après que les tuyaux, inspectés 12 heures avant par l'équipe d'un ingénieur, eurent cédé. Le scénario propose une rivalité entre un ingénieur qui refuse de retravailler un réseau et un ogre homme d'affaires (intimidant John Huston) riche qui ne veut qu'être plus riche. On trempe dans l'inceste, le meurtre, la fripouille, sur la délicieuse musique de Jerry Goldsmith et son habile utilisation de la trompette. Huston était incapable de dire le nom de Gittes, on l'a intégré au script final. Ce qui ajoute une touche amusante. Le scénario se méritera l'Oscar du meilleur, en 1975. Le film aura 11 nominations. 


Le film, en 1974, était considéré comme un film noir, mais avec le temps, on le dit un peu à côté du genre. Ce qui est, selon moi, un compliment. Nicholson, à l'image du gars de la première rangée aux Oscars et de la première rangée aux matchs des Lakers, qu'il sera plus tard, incarne ici celui qui a tout vu, tout vécu, et qui s'amuse d'à peu près tout. 

Étant même près à manger une raclée si ça vaut une avancée dans une enquête.


L'anecdote veut que lorsque la réplique "Do you sleep with my daughter?" est dite par John Huston, à Jack Nicholson, qui effectivement, est en relation amoureuse avec sa fille, Anjelica Huston, hors caméra, celle-ci est effectivement très près, sur le plateau, et est très inconfortable, puisqu'accompagnée de sa jeune soeur de 10 ans. 


Oddly weird
disent les chinois. Mais pas ceux de Chinatown. 

Où quand on vous demande ce vous y faites, vous devez répondre, "le moins possible". Ça vous évite bien des embarras.   `

Je l'ai revisité cette semaine. 

Comme un bon vin, ce film vieillit très bien. 

*Avec un grand H, ce qui inclus donc aussi, les Femmes, toujours honorables d'un grand F, ce que Roman n'a pas toujours compris.

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