vendredi 25 janvier 2019

À La Recherche Du Temps Perdu*****************Un Dimanche à La Piscine à Kigali de Gil Courtemanche

Chaque mois, comme je le fais pour le cinéma (dans les 10 premiers jours) et comme je le fais pour la musique (vers le milieu), je vous parle littérature.

Littérature qui m'a séduit, marqué, et je tente de vous enligner vers une activité de plus en plus rare: la lecture.

Lire c'est beaucoup mon métier (traducteur). Je ne considère jamais que c'est vraiment travailler. C'est une manière différente de respirer. Naturel. C'est explorer de nouvelles réalités. L'espionner. La découvrir. Apprendre. On ne cesse jamais d'apprendre tant qu'on respire.

Lire c'est inspirer très fort et vivre.

Un chef d'oeuvre Québecois, mais Africain aussi.

Journaliste écrit et télé, reporter, correspondant, animateur, parolier,  réalisateur, producteur, Gil Courtemanche lance son tout premier roman, fortement inspiré de son séjour au Rwanda, en 1994, où il tente d'instaurer un certain équilibre et un certain professionnalisme télé à la région, en plein génocide, il lance dis-je bien, son tout premier roman en 2000, à l'âge respectable de 57 ans. Il mourra 11 ans plus tard, du cancer du larynx.

Quiconque lis Albert Camus, en devient généralement charmé. Des mots, des phrases, simples. Qui ne prennent pas de détour. Qui imposent un rythme. Une sensibilité. Une précision claire. Les images sont faciles à faire à la lecture de Camus. Qui reste à la fois simple et profond.
Le roman de Courtemanche est très très proche du style d'Albert Camus. Dont il était un fan avoué. Dans la narration comme dans le décor et la style lyrique, on y sent l'ombre des Meursault, Rieux ou Clamence.

Mais ici, on suit Valcourt. Qui tente de faire fonctionner dignement une station télé au Rwanda. En plein génocide naissant entre Tutsis et Hutus. Et avec le SIDA comme menace perpétuelle et qu'on attrape comme la grippe dans ce pays mal informé sur les dangers sexuels, lorsque mal protégés. Bernard Valcourt ne réussit pas à mettre sur pied ses projets car le pays est en crise. Il tombe amoureux de Gentille, une serveuse Hutue, mais qui a les caractères physiques des Tutsis. Gentille comprend l'amour des blancs tel que décrits par Paul Éluard (un autre favori de Courtemanche). Au lieu de retourner vivre au Québec, Valcourt, aussi par amour, choisi de rester et de tourner un documentaire sur ce pays qui change. Qui change pour le pire. Horreurs et tragédies surviennent au fur et à mesure que l'année progresse. Il sera séparé de celle qu'il épouse, Gentille, lors d'un contrôle milicien.
Convaincu qu'elle est morte, il tente de reconstruire les derniers jours de sa vie. Mais il découvre qu'elle n'est peut-être pas morte. Et peut-être pas sauvable non plus.

Portrait formidablement sensible, atroce, et largement existentiel du Rwanda de 1994, celui du général Dallaire, dont on devine la présence dans un des personnages,  Courtemanche incorpore des faits réels, dont il a été témoin (ou non), et des faits inventés (la trame amoureuse). Témoignage troublant et portrait triste de la haine raciale, Courtemanche donne un visage humain et aux victimes et aux bourreaux.

Il remet en perspective tous nos malheurs personnels qui ne sont rien à côté de leur quotidien d'alors. Une sale (sic) guerre où tout le monde à placer les yeux ailleurs. Il nous les replace au coeur du conflit civil, avec une fameuse humanité.

De l'humanité dans l'inhumain.

Courtemanche ne cessera jamais de se questionner sur comment vivre.
Dans ses deux roman/essai suivants, il se demandera aussi comment mourir.

Précis comme Camus. Douloureux et accablant pour l'espèce humaine comme personne.

Un homme blanc, en amour avec une Femme noire, dans une Afrique Rouge sang.

Un chef d'oeuvre bouleversant.



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