dimanche 5 mars 2017

Cinema Paradiso**********************Underground d'Emir Kusturica

Chaque mois, dans ses 10 premiers jours, je vous offrirai une chronique sur un film qui a changé ma vie par sa proposition visuelle, sonore, narrative, esthétique, par ses intervenants, ou par tout ça en même temps.

Un film qui m'a ouvert les sens.

À une époque où le journalisme sérieux est menacé de ne plus jamais souligner les horreurs du monde et ses mensonges, il me semblait important de vous parler d'un film qui nous suggérait ce que le criminel de guerre Slobodan Milosevic faisait, entre 1989 et 1997, à son peuple de la Yougoslavie éclatée.

Et quiconque mettait les mots Yougoslavie et éclaté ensemble en 1993, ne pouvait faire autrement que de penser à Emir Kusturica.

Emir a 39 ans quand il commence le tournage de Underground.  Comme réalisateur il a tourné trois courts-métrages, 3 projets pour la télé, 4 films, Le premier a gagné le Lion d'Or à Venise, le second a gagné la Palme d'Or à Cannes en 1985, un autre qui lui a valu le prix du meilleur réalisateur et un autre lui a valu l'Ours d'Argent au Festival du Film de Berlin.

Son style est unique. Il s'y trouve bien la folie de Fellini, mais en plus éclatée encore. Des traces de Fassbinder, des frères Coen aussi. Parce que Kusturica est grotesque, drôle, pluriel. Musical aussi. Plus tard, il sera dans un band, le No Smoking Orchestra avec son fils à la batterie. Ses films ont beaucoup de musique. Presque toujours intradiégétique, c'est-à-dire dont on voit la source sonore à l'image. une fanfare débraillée, par exemple. Tous ses films offrent son lot de situations débraillées parce que son pays, la Yougoslavie, est absolument chaotique.

Underground est touffu. Riche. Il est 167 minutes.

Il était une fois un pays... commence le film, déjà on parle de la Yougoslavie au passé.

Possédé par le beat culturel du pays, la structure gypsy des films de Kusturica ne peut pas plaire à tous. La première partie nous place en 1941, alors que les premières bombes allemandes plombent Belgrade. Marko & Blacky profitent du chaos pour faire des combines qui leur rapportent un peu d'argent. Alors que les nazis commencent à enlever des gens, Marko cache son frère et la femme de celui-ci dans la cave en compagnie de plusieurs autres réfugiés. La femme de son frère décède presqu'aussitôt en accouchant. Deux ans plus tard. Blacky kidnappe la comédienne qu'il aime, prisonnière qu'il devra partager avec un officer allemand qui le torturera. Marko sauve Blacky et l'actrice Natalija, et les ramène à la cave.
Quand la guerre cesse, Marko fait croire aux gens de la cave qu'elle est toujours en cours. C'est l'idée géniale du film. Il continue donc à faire des sous en leur vendant des armes de sa confection. Il gagne ainsi en puissance sociale sur terre (hors cave) et devient haut gradé du parti communiste et proche de Tito.
Pendant 20 ans, jusqu'à la guerre froide, il garde les réfugiés dans la cave, usant de subterfuge avant de parler carrément au nom de Tito. Quand le fils de Blacky atteint ses 20 ans, en 1961, il n'a jamais connu autre chose que la cave. Blacky, croyant le guerre toujours en cours, se lasse de la cave et choisit de partir "se battre" avec son fils, hors cave, sur terre. Blacky et son fils arrivent au coeur du tournage d'un film sur les soldats de la Seconde Guerre Mondiale. La ruse tient donc toujours pour Marko, Blacky et son fils croient encore à la guerre en cours. Ceux-ci tuent donc des comédiens. Dans leur fuite, le fils de Blacky se noie. Marko & Natalija sont maintenant un couple. Ils font sauter la cave et les gens qui s'y trouvent par représailles.
La dernière partie nous amène en 1992, au sommet des atrocités des guerres d'ex-Yougoslavie, Marko y est contrebandier d'armes,  son frère le rencontre par hasard et leur face à face finira mal. Natlija déclare son amour pour Marko, les deux sont capturés par des militants et leurs sort doit être scellé par un commandant militaire, Blacky.
La fin est surréaliste alors que morts et vivants se réunissent sur un lopin de terre, et le fils de Marko nous fait un monologue nationaliste nous rappelant que l'eden n'est pas un lieu, mais un moment, où les humains apprendront à co-habiter en harmonie avec les animaux, domptés ou non.


Underground est un mélange unique de comédie burlesque et de commentaire politique sophistiqué qui peut tenir les comparaisons avec le To Be Or Not To Be d'Ernst Lubitsch et les films d'Abbott & Costello. Les univers alternatifs offerts sous terre et sur terre présentent le pouvoir et le peuple tenu dans l'ignorance et le mensonge. La guerre fratricide entre les familles de Blacky et de Marko évoquent l'éternel conflit Serbes/Croates. Pour Kusturica, la famille, c'est le pays.

Le film de Kusturica, qui lui a mérité une seconde Palme d'Or à Cannes, est un peepshow de luxe, un écorchant docu-drama comique et grotesque, un coup de gueule sur l'horreur réelle, et un voeu pieux de réalisme magique.

Le film de Kusturica explique en 167 minutes, comment un pays se détruit de l'intérieur. Et comment un même pays peut répéter les mêmes erreurs, année après année.

Un film toujours pertinent de nos jours.

Un film qui pose constamment les deux questions
"Quand est-ce que la fête se termine?"
et
"Quand la guerre commence-t-elle?"

Des questions jugées non nécessaires quand on est guidé par la raison et non par les pulsions.

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