jeudi 5 septembre 2013

Le Rêve le Plus Long

(à Jessy & à ses proches)

Elle n'avait aucune raison de partir.

De là, la résistance.

33 ans, c'était beaucoup trop jeune. Infirmière de nuit, elle avait des journées ensommeillés. C'est dans le sommeil que la mort l'a trouvée. Ses poumons se sont enfumés jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de place pour l'oxygène. On croit à un problème mécanique qui serait à l'origine de l'incendie dans son immeuble à logement. Une bêtise. Morte à 33 ans, parce qu'endormie au mauvais moment.

La peine a été insurmontable pour les gens du village. Pour les proches aussi bien entendu. Celui qui a tenté de la ranimer s'en est vite trouvé fort ébranlé. Le beau-frère de la défunte est soldat. Il a choisi de faire face à la mort ainsi. Mais pas elle. Pas cette jeune infirmière. Elle ne cognait pas à la porte de la mort. Elle a pourtant trouvé l'entrée de l'absurde.

Il y a ceux qui restent. Baignés dans la peine extrême. Incapables de remplir ce trou dans la poitrine. Faisant désormais de la nuit, une ennemie.

Il y a aussi cette résistance, aérienne, qu'elle vit au travers de sa sœur. Comme si elle avait choisi entre la mort et l'ailleurs de rester encore un peu et de crier à l'injustice. Faut-il croire à ses choses?

"Comme tu es forte, comme tu es courageuse" a-t-on dit à la sœur toujours vivante. Il s'agit moins de courage que de survie. On tombe en mode survie. On traine avec nous une grande partie de nous-même, morte. Toutes les pensées errantes qui composent nos journées prennent tout à coup congé. Nous sommes 100% concentrés. Sur les choses essentielles. Sur les autres. Sur la prochaine blessure qui pourrait surgir de partout. Sur la vie à venir sans l'être aimé qui nous as maintenant quitté. C'est un état de suprême fatigue mais qui nous garde du même coup aiguisés. Même si souvent planant. Comme un rêve qui ne voudrait plus se terminer. Un rêve à cheval entre l'allégresse et le cauchemar. Où l'humour vient nous surprendre, souvent mêlé aux larmes. Le deuil est une chose étrange. Une chose qu'on ne devrait jamais vivre à cet âge.

Quand la jeune infirmière de nuit s'est endormie, elle ne se doutait pas qu'elle s'apprêtait à faire le rêve le plus long. Elle est passée au travers de ses proches, les uns après les autres. Entre deux mondes. Comme si elle se demandait ce qui s'était passé. Probablement comme ceux du Lac Mégantic se sont demandés un certain temps ce qui avait bien pu leur tomber sur la tête. Anesthésiés mentalement. Physiquement translucides.

Avant de lâcher prise dans le vent.

Jamais elle ne disparaîtra vraiment.
Nous l'avions aimé. Nous l'aimerons toujours.
Veille sur nous.

Aucun commentaire: