Il y a de ses gens qui se glissent au travers de l'entertainment et à qui on pardonnerait tout.
Enfin presque tout.
Des gens qu'on fait tout juste voir et duquel on est toujours prêt à rire des moindres propos. Parce que c'est la personnalité entière de l'artiste qu'on a acheté. Qu'il soit drôle, vraiment, ou non, ça importe peu, ce qu'ils ont fait pour la ratte nationale est tout simplement inoubliable. Et ce talent leur donne un laissez-passer pour le "n'importe quoi".
Spike Milligan était l'un de ses hommes pour l'Angleterre qui pouvaient dépasser toutes les frontières artistiques sans jamais être condamné par quiconque. On lui a même pardonné la tentative de meurtre. Ce n'est pas rien.
Terence Allan Patrick Sean Milligan est né en Inde en 1918 d'un père irlandais et d'une mère anglaise. Il passe toute son enfance à Rangoon en Birmanie. C'est toutefois en Angleterre qu'il fait son école militaire et c'est sous le drapeau du pays qu'il prendra part à la seconde Grande Guerre.
Fin des années 30 et début des années 40, il est musicien de jazz, principalement à la trompette et au chant.
Même dans l'armée il traine son bagage d'entertainer. Avec un talent hors pair pour amuser les troupes et leur remonter le moral, il s'attire toutefois la jalousie de ses supérieurs dont il est pratiquement toujours plus populaire. Certains des morceaux musicaux écrits à cette époque serviront de matériel pour le futur Goon Show. À la guerre, il vit la première des ses dizaines de crises de désordre bipolaire sérieuses qui ponctueront sa vie.
Au retour de la guerre, il vit de manière précaire comme musicien de jazz. Il se taille une place à la radio de la BBC et forme avec Peter Sellers, Harry Seacombe et Michael Bentine The Junior Crazy Gang featuring those Crazy People, the Goons!, une émission d'humour absurde. Rappelons-nous qu'au début des années 50, les gens sont très conservateurs. Holden Caulfield/J.D. Salinger fait scandale dans The Catcher in the Rye simplement parce qu'il est rebelle et qu'il s'exprime comme tel. Bentine quitte après deux ans. L'émission renommée The Goons est un gigantesque succès. Elle est, à ses débuts, enregistrée devant public. Durant les pauses, Milligan joue de la trompette et Sellers s'installe à la batterie. Pendant dix ans, Spike Milligan et ses amis feront la pluie et le beau temps sur les ondes de la BBC. Milligan est le chef créateur des idées et le principal scripteur des sketches. L'humour, principalement axé sur l'aburde et les jeux de mots, sera une influence majeure sur les Beatles (pour leur films) et pour les Monty Pythons. Milligan épousera toutes les possibilités sonores disponibles à cette époque de la radio. De ses années de musicien, il a développé une oreille parfaite. Mais la popularité internationale devient si lourde que vers le milieu des années 50, il s'effondre mentalement. Il doit maintenant composer avec ses cycles de maniaco-dépression, comme on l'appelait à l'époque, nommée désordre bipolaire aujourd'hui. Sellers souffrira du même mal toute sa vie.
Exténué mentalement par les tensions entre lui et Sellers, et très assurément malade, il devient convaincu qu'il doit le tuer. Il se rend chez lui avec un épluche-patate (!) et Sellers est sauvé par une porte patio vitrée trop bien lavée que Milligan ne voit pas et dans laquelle il fonce avant de revenir à la raison. Il sera tout de même hospitalisé pour ses troubles psychiques. Comme les Goons ont beaucoup écrit et qu'ils ont facilement trois mois de matériel d'enregistré à l'avance. Son hospitalisation est tenue secrète et son absence passe innaperçu. À son retour, il s'associe à Eric Sykes pour écrire. Avec lui il fondera aussi une agence d'auteur.
La télévision grandissant en popularité , le transfert des goons à la télévision ne pouvait qu'être naturel. Milligan et Sellers travaillent toujours ensemble. Ils sont tous deux malades. Sellers concentrent ses obssessions principalement sur les femmes tandis que Milligan travaille comme un acharné. Plusieurs incarnations télévisuelles des Goons apparaissent à la télévison durant les années 60.
Lors d'un bulletin de nouvelles de la branche australienne de la BBC, Milligan, invité d'une émission précédente, traine encore en studio. Il interromp constamment le très sérieux bulletin. Il y souffle son nom et commente les nouvelles forçant l'annonceur à dire son nom en ondes (0:42), même si Milligan n'est pas dans la nouvelle. Tout simplement afin de désamorcer sa tentative de faire dérailler le bulletin (ce qu'il réussit quand même à faire de toute façon à 1:30). Suite à cet "incident" la BBC adopte des lois qui obligent les invités d'une émission précédente à quitter promptement le studio quand les lecteurs de nouvelles s'y pointent.
Sellers principalement investi dans le cinéma, Milligan, pour sa part, colle à la télévision. Et ça lui réussit encore très bien. Sa très innovative émission Q est si populaire qu'elle restera en ondes de 1969 à 1982 sur BBC2.
Milligan écrit aussi des livres pour enfants, de la poésie comique et, lorsque dans ses phases déprimées, de la poésie beaucoup plus noire. Il écrit une série de mémoires sur ses années de guerre. Il en écrira 4 dans les années 70. La collection de 7 volumes couvrent la période de sa vie de 1939 à 1950. Il confesse alors sa maladie.
Il a joué Ben Gunn au théâtre dans Treasure Island au Mermaid Theater de Londres. Puis il a joué et co-écrit la pièce post nucléaire The Bed-Sitting Room qui sera aussi adapté en film. Sa carrière au théâtre le brûle toutefois avec la pièce Oblomov du russe Ivan Goncharov dont le sujet est tout ce qu'il y a de plus sérieux. Le premier soir est une telle catastrophe que Milligan choisit, chaque soir par la suite, d'en changer toutes les répliques au grand dam des autres comédiens sur scène avec lui, forcés d'improviser. La pièce devient un succès lorsque tranformée en comédie et complètement réarrangée au goût du clown Milligan. Maintenant dénaturée de l'oeuvre originale, elle sera rebaptisée Le Fils de Oblomov.
Il apparaitra ici et là à la télévision toute sa vie, comme saveur nationale. Le sachant maintenant malade, le public se prend d'une sympathie naturelle. L'humour venant contrer les élans de dépression.
L'une de ses dernières apparition publique sera dans le rôle de De'Ath dans Gormenghast, une adaptation de la trilogie de Mervyn Peake, série réalisée pour le compte de la BBC en 2000.
On lui rend hommage et non seulement il trouve le moyen de ne remercier personne ("car j'ai tout réussi tout seul") mais il se permet de traiter le Prince Charles d'humiliant bâtard et détourne son propre hommage pour le plus grand plaisir de la foule qui lui envoie une demie-tonne d'amour.
Marié trois fois, il a aussi 4 enfants et serat père aussi deux autres fois.
Spike Milligan, après avoir fair rire toute l'Angleterre et outre frontières, fait pleurer ses fans le 8 mars 2002 alors qu'il succombe à un cancer du foie à l'âge vénérable de 83 ans.
L'église refusera sa demande d'épitaphe originale qui était "Je vous l'avais dit que j'étais malade!".
Merci la vie pour Spike Milligan.
Un homme troublant, troublé, au cerveau extraordinaire.
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