mardi 8 juillet 2014

Le Deuxième Train

Le vautour est un oiseau rapace diurne nécrophage qui se nourrit principalement de carcasses d'animaux morts.

C'était un si petit village qu'on lui avait même donné le nom d'un lac. Tranquille, sympathiquement tourné vers lui-même en ce sens que tout le monde s'y connaissait. Où si on ne voulait pas connaître son entourage, ça importait peu puisque tout le monde saurait vous seriez qui de toute façon. Tricoté serré. Coude à coude.

Sur les armoiries du village on y montre une franche poignée de main et trois poissons deux pointant vers l'ouest et celui du milieu pointant vers l'est. Au bas de ces armoiries, la devise "un seul corps, un seul esprit" inscrite en latin.

C'était une ville où il faisait bon vivre. Il y avait bien ce train qui passait directement dans le Centre-Ville qui agaçait un peu tout le monde, les urbanistes en premier, et ce, dès 1953, mais il y passait pour des raisons économiques et historiques. La ville n'avait pas les moyens de faire déplacer les rails. Très avant-gardiste, ce village avait engagé un urbaniste pour développer sa région. Chose rare et bien en avance sur son époque, dans les années 50.

Toujours un coup en avant, un autre charme de la région. Le village est si près de la frontière des États-Unis qu'ils y ont développé des affaires, l'exportation du bois entre autre, avec le Vermont.

Puis il y a eu cette nuit de 6 juillet 2013. Une nuit parfaite sous tous ses rapports. Où tout était en place pour tomber en amour. Avec un(e) partenaire, un village, une nuit, une terrasse, un bar, un pays. Mais personne n'a vu ce train fou descendre la pente dans le reflet de la lune.

On connait la suite.

C'est un triple deuil qu'on a vivre les gens de ce secteur.

Celui des êtres chers perdus, le plus direct, le plus violent. Celui qui vous renverse une vie complètement à l'envers. Qui vous place vous-même dans un état de survie indéfini. Et peut-être pour toujours, il est trop tôt pour le savoir.

Il y a le deuil d'un village, si cher avant le train, si plus rien, inexistant, après le train. Il y a un "avant" et un "après" dans ce village. Plus violent que deux avions percutant des tours un 11 Septembre 2001 dans une froide télévision à des kilomètres de chez vous, un train fantôme qui explose 47 innocents dans la pièce d'à côté, pour rien du tout, par une chaude et splendide nuit d'été. Peut-être une quarantaine d'amis. 42 que vous connaissiez en tout cas si vous étiez du coin.

Il n'y a pas que ces gens qui sont morts, il y a le centre-ville aussi. Le village est à renaître.

Ces deux deuils sont privés, ou du moins peuvent et dans plusieurs cas doivent l'être vécu ainsi. Un silence, un recueillement, une reconstruction intérieure qui doit se faire seul avec sa peine afin de pouoir retrouver la paix et par la suite, la joie de vivre. Peut-être...

Mais il y a un troisième deuil. Le deuil public. Plus théâtral celui-là. Sous les projecteurs des caméras de purs étrangers qui viennent glaner de la larme comme une mouette vole une frite dans un stationnement de restauration-rapide. Dans notre société de nouvelles fast-food, on plante sa tente trois jours avant et on pratique le violon d'Ithzak Perlman dans Schindler's List dans le but de vivre la nouvelle, sans réaliser le viol impudique perpétuel qu'on réinstalle dans les vies de ses gens sérieusement amochés.

Ces médias font passer un deuxième train sur le corps de ceux qui essaie de revivre ensemble.
En tant que village. Qui depuis, a fait naître autant de monstres que de héros.

Mais dont les eaux troubles ne ressemblent plus en rien au calme du Lac d'antan.
Un village qui ne pourra jamais plus être en paix comme avant.

Que l'on torture à coup de caméra et de micro et bruits d'hélicoptères à toute heure du jour, un an plus tard. Que l'on visite comme on ferait le touriste à Pompei.

Pour Pompei, on a pensé plâtrer quelques cadavres 1784 ans après les faits. À TVA je suis certain qu'on pense à une idée pour l'an prochain. Un Star Académie dans les cendres, genre. Notre époque est plus rapide sur le dépeçage de cadavres. Car il y en a beaucoup plus que les 47 identifiés. Et les caméras veulent être là pour les filmer. Gros plan sur la joue des fois qu'une larme voudrait se sauver.

C'est le deuil de la paix qui est le plus sournois. Ce village n'aura plus jamais la paix.
Reconstruire ce qui est brisé en dedans, ça se scénarise pas dans des réunions de pré-prod.

Vous connaissez l'histoire du joueur de flûte de Hamelin?
Dans la ville Allemande existait un tel problème de surpopulation de rats que les citoyens voyaient leurs aliments infestés et non-consommable en raison des rats. La ville crevait littéralement de faim. Ils ont fait appel à un dératiseur, un joueur de flûte à qui on avait promis beaucoup d'argent en échange du débarras de l'ensemble de ses rats. Le joueur de flûte à joué de son instrument et les rats, hypnotisés par le son musical, ont été attirés vers lui. Il a continué de jouer et les as tous amenés en bordure d'une rivière qu'il a traversé et dans laquelle tous les rats se sont noyés. Débarrassant la ville de son problème.
Toutefois, quand les citoyens sont revenus sur leur parole et ont refusé de payer l'artiste, le chassant même à coup de pierre. Celui-ci s'est vengé et a rejoué de la flûte quelques semaines plus tard dans la nuit, attirant cette fois tous les enfants du village, qui l'on aussi suivi, au sommet d'une montagne cette fois, hypnotisés, et que l'on a plus jamais revus.

Où est le joueur de flûte du Lac Mégantic?

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