mercredi 18 novembre 2020

Jamais Ennuyeuse

 (À C.P.)

Entre 1984 et 1992.
En 1984, elle est ma toute première amoureuse, je serai son tout premier amoureux. On avait 12 ans. Je revois encore nos premiers regards de désirs, moi sur le divan de son sous-sol, elle, dans la chaise balançoire en osier tournant sur elle-même. 

Elle vient de Ste-Foy. La maison où elle/on a grandi faisait plusieurs coins de rue. D'un côté, un bout de rue qui mène vers un bar étudiant universitaire. De l'autre, un autre court bout de rue qui mène vers un populeux boulevard. Enfin, populeux comme le trafic la ville de Québec peut l'être parfois. Derrière chez sa famille il y a cette épicerie et le stationnement de celui-ci. Occupé la nuit justement par les voitures des étudiants universitaires consommant au bar en face. C'est un peu parce qu'elle était située au coeur de cette agitation que sa maison, elle-même, serait agitée. 

La famille avait une piscine qui déshabillait tout simplement tout le monde.

Dans les somptueuses années adolescentes des années 80, elle organisait des fêtes mémorables. Sur l'une des invitations, qu'elle confectionnait officiellement sur cartons aussi soigneusement choisis que ses invités, elle avait écrit, "Impossible de trouver la soirée ennuyeuse car ne je ne m'ennuie jamais". 

Trop vrai. On ne pouvait pas s'ennuyer chez Patricia Sicard-Bouchard. Une fois, je m'étais réveillé, au matin (midi), dans le gazon, sur le terrain en arrière et un invité masculin, parfaitement nu, sautait sur la trampoline avec les chiens de PSB qui s'agitaient tout en bas. C'est d'ailleurs l'un d'eux qui m'avait réveillé avec son museau muqueux dans l'oreille. 


Dans ses soirées, se rendant à la salle de bain, on trouvait le bain toujours rempli de quelqu'un ou de quelque chose. Parfois plein de glace sur lequel dormait (pas longtemps) des bouteilles ou des cannettes d'alcool, qui céderaient la place, plus la soirée avançait, à des filles à moitié nues prenant des bains dans de la mousse, des gars, aussi nus, se rasant la barbe, les jambes d'une autre en face sur le torse. Il pouvait aussi y avoir un couple d'un soir dans la douche. Tout ça pendant que vous pissiez. Des fois tout ça en même temps. S.N. avait une fois pris son bain dans la glace. Il est aujourd'hui au Vietnam avec son épouse Vietnamienne. Je ne sais pas si il lui parle des soirées d'antan chez PSB. 


On s'étonnait de certains messages laissés dans la buée du miroir comme "Paule aime Patrick". Quelle trahison d'un secret qui pouvait faire dévier toute la dynamique de la soirée! On ne s'étonnait pas de voir des gens courir d'une chambre à l'autre, principalement tout en peau, dans la nuit. Ce n'est que le lendemain matin (midi) qu'on tentait de reconstruire les mathématiques amoureuses. Comprendre les nouveaux algorithmes. Exposions les nouvelles équations. Mettions le feu aux hypothénuses. On ne pouvait pas vivre les uns sans les autres depuis au moins la veille. 


J'ignore si c'est une vision de ce que j'avais fumé ou bu mais je me revois jaser de quelque chose entre amis, avec dans l'angle mort quelqu'un faisant la même chose, mais tenant aussi un poney en laisse. Jamais, jamais ennuyeuse.

Je me rappelle ce petit frère de je-ne-sais-trop-qui, (que faisait-il là?) qui voyait beaucoup trop d'adulteries pour son âge. Les soirées chez PSB nous ont fait découvrir des corps, des envies, ont fait naître tant de rires et de pleurs, ont fait naître tant de films inoubliables dans nos têtes. Chaque fois qu'on s'est trouvé troublé par la suite, on avait en réserve, quelque part en tête ou ailleurs, des souvenirs magiques. 


Certains matins, on devait se rappeler l'identité de certains car sans les verres fumées que cette personne avait porté toute la soirée précédente, ou sans le fixatif dans les cheveux maintenant attachés, on ne reconnaissait plus cette personne. D'autres n'étaient plus la même personne, immobile autour d'une table alors qu'on les avait vu danser au haut des escaliers toute la nuit. Avions nous vraiment vu une ballerine passer faire une arabesque dans la cuisine? C'était Virginie ou Marie-Claire? C'était clairement Breton, Chicoine et Goyette qui avaient fait le tour de la maison à l'intérieur à dos de vélo. Saoûl et sans rien briser. C'était à inscrire dans les annales. Et pourquoi Kluzak tenait à bout de bras, comme un lutteur voulant propulser son adversaire sur le sol, Magali, qui avait marmonné un "bon, o.k." humilié de la paume de Kluz? En raison des tartes au pot. Pourquoi PSB ne nous avait pas averti que ses parents gardaient des tartes au pot au sous-sol?  On ne pensait que casser la croûte de minuit. C'était aussi la nuit où je jure avoir vu passer un singe en patin à roulettes dans la cuisine. 


Tout le monde devenait beau dans les soirées chez PSB. Qui était la reine hôtesse de la soirée, mais qui semblait parfois seule dans son royaume. 

Puis, 2018, jour de l'an, alcool aidant, à la mort de son père, on apprenait que lui, jouait très mal son rôle. Confondait désir et parentalité. Et la relative solitude de PSB s'expliquait soudainement avec un voile de noirceur.  On l'avait tous connue au pire du pire. Sans savoir qu'elle vivait aussi, le pire du pire.

Elle avait depuis flirté avec l'idée de s'enlever la vie. Sa vie en partie volée, qu'elle a toujours tenté de se réinventer autrement. 

Elle ne pouvait pas quitter cette planète après avoir été si fièrement une ado des années 80, servant les plus belles années de la vie de certains tout en maquillant ses propres tourments si habilement. 

C'est elle qui nous avait appris que If you can't reach the sunshine, BE the sunshine. Elle en avait créé toutes les dispositions pour nous. 
Elle n'était pas assez ennuyeuse pour quitter le monde actuel.

Jamais, jamais elle n'était ennuyeuse. 

On lui a tous rappelé. 

43 millions de fois. Soit le nombre de gens dont elle a changé la vie. 

Tu as toujours fait de nous des fleurs que la lumière du ciel dessinerait comme silhouette en pointant sur nous. You are our sunshine. 


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