jeudi 24 septembre 2020

Voix d'Haruki


 Les livres de l'écrivain Japonais Haruki Murakami sont généralement traduit en français directement du japonais. Les Chroniques de L'Oiseau à Ressort a été traduit du japonais par Corinne Atlan et Karine Chesneau. Hélène Morita est généralement celle qui traduit Murakami depuis 2007. 

En anglais, Alfred Birnbaum a longtemps été le traducteur attitré à ses oeuvres. Plus maintenant. 

Les livres ne sont pas des produits comme les autres. Les écrivains, les artistes, ne sont pas des Iphones. Le nouveau ne rend pas l'ancien obsolète. Peu importe la force avec laquelle on peut admirer l'écriture de Sally Rooney, ça ne suggère jamais de ne plus jamais lire Oscar Wilde, Maeve Binchy ou W.B.Yeats. Lire David Goudreault n'efface pas l'oeuvre d'Anne Hébert, Réjean Ducharme ou Michel Tremblay. L'un ne remplace pas l'autre. 


Pourtant c'est un peu ainsi qu'Haruki Murakami nous as été introduit en Amérique du Nord et en France. 

Alfred Birnbaum a été le premier à traduire Murakami en anglais. Il décrit l'oeuvre ainsi: "c'est la totale antithèse de la lourdeur des Kenzaburo Oe, Kobo Abe, Juro Kara ou Kenji Nakagami". Dans le NY Times de 1989, c'était la même chose on disait de son oeuvre qu'elle était audacieuse et moderne dans la fiction internationale et non pas traditionnelle comme Kobo Abe ou Yukio Mishima ou Yasunari Kawabata. Les critiques des États-Unis, de France et du Canada ont presque tous suivi cette direction. Il fallait séparer Murakami de ses collègues Japonais. 


Murakami a toujours dit qu'il a toujours été nettement plus influencé par les écrivains Nord-Américains que par ses contemporains japonais. Mais suggérer que son excellence doit le séparer de ses collègues relève du syndrome de Highlander (le film), où des membres d'une même race ou d'une minorité compétitionnent entre eux pour qu'un seul d'entre eux ne puisse gagner et/ou survivre.


Comment Murakami, dont les livres se vendent dans le monde dans toutes les langues et par millions, et dont le nom est reconnu même si on a jamais lu un de ses livres, est devenu le sujet d'un livre récent appelé Who We're Reading When We're Reading Murakami par David Karashima. Il s'est penché, justement sur la manière dont a été traduit Haruki. 


La couverture du livre, dans sa version japonaise, donne un indice que Murakami, l'homme, et Murakami, l'auteur traduit, n'est pas le même. Le titre est entièrement en symbole japonais, mais pas le nom d'Haruki Murakami qui est en alphabet nord américain. La juxtaposition, non présente sur la couverture de l'édition anglaise, suggère un produit culturel. Les auteurs ne sont pas des Iphones, mais quand ils lancent une nouvelle oeuvre, on les marchandise et on le présente dans le moulinet du marketing. 


La traduction (pardonnez l'intérêt personnel) y est pour beaucoup. 

Avec son 3ème roman,  La Course au Mouton Sauvage, l'histoire surréaliste se déroule dans les années 70. Mais les traducteurs ont eu à l'esprit le lecteur des États-Unis, et ont pensé que celui-ci voulait une histoire plus contemporaine en 1989. Ils ont gommé toute référence aux années 70 et ont même osé faire une allusion à un discours de Ronald Reagan, président des États-Unis, toutes les années 80. Le titre a aussi été changé de An Adventure Surrounding Sheep à A Wild Sheep Chase. 


Pour La Fin des Temps, son livre suivant, on a tout simplement autour de 100 pages. Murakami avait placé volontairement sans son oeuvre, toute une section illogique, un solo jazz dans sa pop, et les traducteurs ont jugé que le lecteur serait égaré et le livre lui tomberait alors des mains. On tombait quand même en territoire de censure. On a critiqué le choix. les vrais admirateurs de Murakami, si ils comprenaient toutes les langues, seraient horrifiés de le lire. Vladimir Nabokov avait connu le même type "d'ajustements". Murakami, comme Nabokov, est aussi traducteur. Semble que ce soit un métier en accompagnant toujours un autre, partout, en tout temps. 


Mais les traducteurs des États-Unis ont beaucoup aidé Murakami en l'amenant à Princeton pour le faire connaître. En favorisant les contacts avec les lecteurs des É-U. Murakami a toujours dit que son auteur préféré était Raymond Carver. Carver lui-même était largement "retravaillé" dans sa propre langue par l''éditeur Gordon Lish. Murakami a parlé de ces traducteurs d'Amérique du Nord comme des passeurs de son oeuvre, moins que comme des méticuleux et précis traducteur. 


Avec son succès, Murakami a aussi pu choisir ses maisons d'éditions. Et en 1992, il passait dans une nouvelle maison d'édition. Mais encore, Les Chroniques de L'Oiseau à Ressort, en anglais, publié en trois livres en Asie, en une seule brique, en Europe et ici, a été amputé de quelques 25 000 mots afin de le rendre moins "chaotique". Ils ont en revanche proposé deux versions du livre. La version abrégée et le version originale. C'est le livre qui l'a lancé par ici et en Europe. Est-ce que le travail d'édition a aidé? Peut-être, on ne le saura jamais. 

La manière dont Murakami est compris est comme la plupart de ses intrigues. Constamment en train de changer. 


En lisant Hiroko Oyamada, et en en parlant avec une amie, celle-ci m'a dit "Dieu merci!, une auteure japonaise autre que Murakami!". Mais c'est aussi un piège. 

Pourquoi le remplacer? Savourer les Rolling Stones devrait-il nous empêcher d'aimer Interpol?

Quand un auteur d'une culture étrangère est célébré, il ne représente pas 100% de cette culture. 

Quand on a plus qu'une voix, on a une conversation. 

Et ça, c'est beaucoup plus excitant. 

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