dimanche 15 mars 2020

Du Nerd

À l'école secondaire, entre mes 12 et 17 ans, je n'étais pas ce qu'on appelait alors "un nerd". Du moins, pas complètement. Je faisais trop de sports, j'étais trop souvent en retenue et avec les filles, j'ai été sensiblement choyé. J'étais tous les personnages de Breakfast Club en même temps. Selon les heures.
 J'avais les notes des nerds avec lesquels je partageais mes classes "d'enrichi". J'ai encore du nerd en moi. Qui voudra écouter du Léo Ferré quand tout le monde pense grunge.

Je n'ai jamais considéré le "nerdisme" comme quelque chose de péjoratif. Je ne pouvais pas, j'étais, ne serais-ce que sur papier, des leurs. Le serai toujours un peu.
Le nerdisme utilise son intelligence admirablement, et, par la force des choses, au secondaire, je les ai tant côtoyés que j'ai appris à en connaître la complète mécanique interne. Gars comme fille. Et comme je l'ai dit, encore parfois, j'en suis.

C'est socialement que ça se complique pour les nerds. Ils sont largement investis dans ce qu'il font, mais quand vient le moment d'interagir en société, avec les autres, avec le sexe qui les attire, l'ordre parfait avec lequel ils réussissent à négocier toutes leurs matières est en parfaite opposition avec leur désordre des sens. Ils sont maladroits, mais bien souvent très honnêtement maladroits.

Ça me les rend sympathiques encore aujourd'hui.
Imparfaits quand on les pense parfaits. Humains.
Dans les années 80, entre 1984 et 1989 plus précisément, j'ai constamment navigué entre mes univers sportifs, cools et nerds. J'étais pas mal de toutes les tribus sans le chercher nécessairement. (c'est nerd de dire ça ainsi, je le cherchais surement un peu). Ça m'a aidé à être familier avec pas mal de monde différent. Ce furent de formidables années exploratoires. Pas étrangère de toute les générations. On découvrait les filles/les garçons, on découvrait l'esprit de compétition, la pression sociale et sportive, on s'amusait beaucoup. On se partageait nos découvertes musicales et nos films préférés. Toutes des choses qu'on a continué à faire en vieillissant. On passait de la somnolence molle à l'éveil.

Parmi les propositions musicales que les radios et Musique Plus nous offrait, il y a avait Elton John. Par le générique de l'émission Video Hits (ou étais-ce cette autre émission qui ne présentait que des vidéos pendant une heure, sans présentateur et seulement une paire de lunettes nous montrant par chaque lunette le  début du clip?) on pouvait voir un extrait de son video pour "I'm Still Standing" avec un segment de la chorégraphie sur la plage. On connaissait Elton, ado, pour ce qu'il nous offrait au moment même de vivre notre adolescence. Sad Songs (Say so much), A Word in Spanish, I Don't Want Go On With You Like That, Sacrifice. Mon père, qui n'investissait jamais pour de la musique, avait tant aimé sa chanson Nikita, qu'il avait accepté de payer les 6$ de son 33 tours Ice on Fire pour la famille.

Dans la galerie des sons peuplant notre adolescence, Elton n'était ni cool, ni trop ancien, il était de ceux qui faisaient bien leurs devoirs. Avec un vrai gros hit intergénérationnel par album.

Elton n'avait confondu personne en se mariant avec une productrice studio en 1984, nous le savions tous gay*.

Elton est un vrai nerd. Sans contredit.

J'ai vu le film, dont j'ai beaucoup aimé l'angle onirique, qui lui a été consacré l'an dernier. Mais je n'ai pas cru à toutes ses histoires. Dès le début du film, Elton nous donne un indice de ce qui caractérise aussi beaucoup les nerds: le mensonge pour paraître cool. Dans le film, il nous suggère que son idée de changer son nom de Reginald Dwight pour Elton John était inspirée de John Lennon.

Ce n'est pas vrai. C'était un hommage à celui qui l'a fait performer musicalement à ses débuts, Long John Baldry. Elton a pianoté pour lui.

Je n'ai pas complètement cru non plus ses dépendances à la drogue. J'ai plutôt vu un nerd qui avait amplement le temps de comprendre les routes "cool" du rock et qui a peinturé la légende qu'il laisse derrière des briques jaunes d'une route fantasmée.

Je ne doute en rien qu'il a lourdement souffert et qu'émotivement, il était brisé de partout. Mais sa plongée dans les abus de drogue....mmmh, enfin...

Dès les 50 premières pages de sa bio, tout ce que je vous explique sur les nerds est très très clair. Un mélange de naïveté, de frayeur sociale, de manque de confiance, pourtant un talent et une efficacité absolue. Une légère maladresse dans les codes sociaux.

Et quelques mensonges pour paraître cool...

Ce n'est pas 100% grave, un artiste a le devoir de créer. Il raconte "créativement".
Son livre est l'un des plus drôles que j'ai eu la chance de lire de la part d'un artiste musical. Je vous le suggère grandement. Très amusant. On a besoin de s'amuser de nos jours.

Mais une chose reste tout ce qu'il y a de plus vrai.

Elton John est un vrai nerd pur jus.
Il aurait été dans mes classes du secondaire.

Derrière son propre livre il est cité disant: "La chose fantastique dans le rock'n roll est que quelqu'un comme moi peut être une star"

Quelqu'un comme lui, un nerd.

*Le video de I'm Still Standing était sans équivoque et ne trompait personne. 

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