dimanche 21 avril 2019

L'indélébile Humiliation Volontaire de E.L.James

Ericka Leonard était directrice de la production à la BBC, puis directrice de la société de production télévisuelle Shootingstarsproductions avant de faire la vraie grosse passe en affaires et devenir l'une des femmes les plus riches au monde.

Sous le pseudonyme de E.L.James.

Quand la série de romans pour adolescents Twilight est lancé en livres , entre 2005 et 2008, et ensuite quand celle-ci est adaptée en films, entre 2008 et 2012, Leonard les dévore. Elle adore. Ça lui donne la folle envie de vivre un rêve: écrire. Avec l'aide de son mari, en 2009, elle commence à écrire sur le net des fictions à caractère érotique, qui seront de plus en plus inspirés de ses propres fantasmes à elle.

Partiellement inspiré des vampires Bella Swan et Edward Cullen des romans et films Twilight, elle écrit Master of the universe I & II. Bella devient Anastasia Steele et Edward devient Christian Grey. Bonne idée, elle change son titre pour Fifty Shades of Grey, à la fois un jeu de mots envers le mystérieux multimilionnaire de son histoire, à la fois une belle pensée envoyée dans l'air cosmique voulant suggérer que nous sommes tous teints de couleurs extrêmement variées. Et devons le rester.

La réception de sa trilogie sera phénoménale. Il se trouve que son fantasme est aussi l'écho de millions d'autres femmes, et peut-être d'autant d'hommes. En vacances, au Mexique, je n'ai pas réussi à prendre une photo (j'aurais eu à le faire teès discrètement au risque de passer pour pervers) mais autour d'une piscine, pendant une semaine, il y avait pas moins de 6 femmes différentes (et un homme), donc 7 personnes, c'était en 2012, qui lisaient tous en même temps le premier tome. Des gens qui ne voyageaient pas ensemble. Et qui était très absorbés par le livre. C'est une image qui m'a marqué profondément. C'était vraiment devenu un phénomène.

Comme Harry Potter l'a été.

Et comme Harry Potter, ça a peut-être fait lire des tas de gens qui ne lisaient peut-être jamais. J'étais assez content. J'ai donc aussi choisi de le lire. J'ai trouvé très pauvre, au niveau de l'écriture et bon, pas vraiment excitant. Mais relativement déprimant de penser qu'il faille peut-être se marcher complètement sur la dignité pour plaire ou se faire plaisir. Pas mon truc. Mais je n'étais pas le public visé. La trilogie démocratisant les pratiques sado-masochistes chez les femmes a définitivement répondu à un besoin chez un paquet de femmes dans le monde. Le fantasme a fait écho. Encore aujourd'hui, faites le test, en regardant ce que les gens lisent sur la plage, vous trouverez toujours quelqu'un (une femme) en train de lire un des trois tomes. Ou une des deux suites du point de vue de Grey. Le premier tome est tout de même sorti il y a presque 10 ans. Elle en vendra 150 millions. Qu'on aime ou non. ça force une certaine admiration. Elle a écrit facilement, une danse assez paresseuse, qu'on ne peut surtout pas faire toute seule, et qui a besoin d'un guide sinon madame ne bouge pas, et le fantasme sécuritaire du millionnaire cochon jouant au maître sexuel qui a facilement décomplexé des millions de personnes, secrètement gênées de penser qu'elles étaient seules à penser à ces choses avec un certain émoi.

Traiter de la sécurité par l'insécurité restait une piste intéressante. La déstabilisation a touché sa cible et c'est tant mieux.

Toutefois, son dernier effort, lancé cette semaine, frôle le pathétisme.
Le dégradant, le rétrograde.

Ça partait de la noble idée de parler de l'immigration et de trafic humain. En effet, un de ses personnages, Alessia, est une immigrante d'origine Albanaise, maltraitée chez elle, menacée des pires choses, promises à un gangster local par son propre père, et devenue bonne chez un (autre) multimillionnaire, un DJ/photographe/playboy qui ne pense qu'à baiser.  Ce qui sera sa mission avouée, même quand elle se réveille la nuit, en criant, cauchemardant son passé. Lui, un duc, lui tient la main en souhaitant la faire crier autrement (c'est écrit sans sensibilité comme ça).

Très vite évacuée l'idée du trafic humain, on effleure à peine, et on glisse dans le semen de la passion amoureuse où le multimillionnaire, attiré par les vierges de 23 ans, qui n'ont jamais pris d'alcool de leur vie et qui se sont fait convaincre qu'une femme doit obéir à un homme en tout temps, l'invitera à vivre avec lui. Et dans ce qui semble être une affirmation féministe (James vend son livre comme ça) le personnage d'Alessia prend une grande respiration et lui dit fermement: "Je ferai le ménage chez vous, et tu me paieras."

(...)

Pendant que des pompières éteignent des feux, sauve des sinistrés, font de l'ardue négociation avec les preneurs d'otages ou tente de devenir de meilleures combattantes à mains nues pour sauver le monde des méchants, Miss James fait de sa ménagère immigrée, un autre corps à exploiter au service d'un mâle. Un corps propre.

Finalement ma photo avec des femmes en bikini lisant Fifty Shades of Grey autour d'une piscine me semble moins perverse.

Ou plus encore?

Je ne sais plus.

E.L. James réussit encore à faire ce qu'elle fait de mieux.

Déstabiliser.

Pas certain que sa conception de la dynamique homme/femme soit complètement raccord avec les femmes de notre époque.

J'ai la prétention de croire que non.
J'espère donc.

Nous devons tous être de multiples couleurs.
Mais certaines peuvent moins nous convenir.

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