mercredi 27 décembre 2017

À La Recherche Du Temps Perdu***********Gravity's Rainbow par Thomas Pynchon

Chaque mois, vers la fin, comme je le fais pour le cinéma (vers le début) et pour la musique (vers le milieu), je vous parle littérature, du genre qui m'a profondément marqué et je tente de vous dire comment et pourquoi.

Lire c'est penser, réfléchir, parler à un ami, l'écouter, l'entendre, le comprendre (ou pas), c'est s'immiscer dans une réalité qui n'est pas la nôtre, c'est oser braver ses préjugés, c'est s'ouvrir, découvrir un nouvel angle sur la vie, sur soi-même, sur les autres. C'est prêter une oreille à des confessions, une culture, des moeurs, ds fantasmes, c'est avoir l'oeil et la tête sur de nouvelles conceptions, se permettre un nouveau regard. C'est faire acte de générosité mentale. C'est générateur aussi. Ça fait fleurir les idées. C'est forger ses propres pensées en les confrontant parfois à celles des autres, ou en s'en inspirant. C'est écouter sa musique, découvrir son rythme, en faire naître de nouveaux. C'est découvrir l'écho d'un peuple qui ne sera jamais le nôtre ou tout le contraire. C'est explorer une nouvelle lumière, parcourir et agrandir les corridors cérébraux. C'est se balader sur la plage du monde entier qui le compose. C'est danser sur le cerveau d'un autre. C'est apprendre la vie par les yeux et les mots. Par le moteur de la pensée redessinée. C'est un regard, une inspiration, un souffle.

Lire c'est visiter la vie des autres et un peu la nôtre aussi.

Lire c'est beaucoup mon métier et c'est pour moi respirer.

GRAVITY'S RAINBOW de THOMAS PYNCHON

Long (760 pages), complexe, comprenant quelques 400 personnages, situant l'action principalement en Europe durant la Seconde Guerre Mondiale, et concentrant sa narration sur le design , la production et le déploiement de la fusée V-2 allemande, le livre peut paraître intimidant.

L'une des intrigues suit un groupe de personnages à la quête du mystérieux secret entourant le Schwarzgerät, un article prévu pour être installé dans la fusée immatriculée 00000.

Piochant dans un large champs de connaissances passant de la physique, la métaphysique, les mathématiques, la culture et le sexe, on passe beaucoup de l'intellectuel au trumpisme à la vulgaire grossièreté. Paru en 1973, il a obtenu plusieurs prix de reconnaissance, mais a aussi été rejeté par le Pulitzer, qui l'avait choisi pour sa courte liste, parce que jugé obscène et surécrit.

Le titre peut faire référence à l'arc (en ciel) que fait le trajet de la fusée V-2 lorsque propulsée, l'arc narratif, relativement tordu, qui rappelle la confusion de Finnegan's Wake de James Joyce ou l'audace de The Confidence Man d'Herman Melville, la trajet statistique des bombes fusées du récit, l'introduction du facteur aéléatoire dans la science et dans la physique quantique, facteur qui mettait à mal le déterminisme universel ou encore le côté animé de l'imagination d'un mortel. 

La première partie se déroule entre le 18 décembre et le 26, en pleine guerre, en 1944, et fait référence à l'impossibilité de ne plus jamais être conditionnellement stimulé par quoi que ce soit. La seconde partie contient 8 épisodes, en France, entre autre endroit, entre Noël 1944 et la pentecôte de mai 1945. La troisième partie contient 32 épisodes entre l'été 1945 (malgré de multiples retour en arrière) et le 6 août, jour de l'horreur atomique. La désillusion est au rendez-vous. La dernière partie comprend 12 épisodes, commençant au lendemain de la bombe atomique en Asie jusqu'au 14 septembre de cette même année.

Pynchon croise faits réels, faits avérés et parfaite fiction. Des références à Pavlov, Ouspensky, Jung sont basées sur de réelles recherches concernant ces gens. La description de l'Opération Backfire, semble être une copie du rapport sur les événements, (Pynchon y avait accès dans l'armée). Le 16 décembre 1944, dans un cinéma de Anvers, en Belgique,  1200 personnes sont dans une salle de cinéma et visionnent le film The Plainsman quand une V-2 allemand leur atterrit dessus, tuant 567 âmes.
La magie noire et le mysticisme nazi est aussi évoqué par Pynchon. Afin de garder une cohérence historique, Pynchon place ses intrigues et personnages dans de réels évènements de cette sale guerre, chronologiquement.  Comme Littell le fera des années plus tard. Avec autant de succès. 

Pynchon nous reste en tête longtemps après l'avoir lu. Il a une prose presque mathématique, calculant chaque ambiguité avec une finesse, parfois drôle, parfois risquée, parfois habile, parfois linguistiquement farfelu. C'est une orgie d'ivrogne littéraire.

Pour un autochtone irlandais comme moi, c'est parfait.

C'est même, encore aujourd'hui, un brin post moderniste.

Voilà peut-être pourquoi, de nos jours, on le retrouve encore dans les meilleurs livres jamais écrits.

Ou qu'il faut avoir lu avant de mourir.

Thom, n'aimant pas ses dents, comme Salinger ou Ducharme, ne se montre jamais en public depuis toujours. Peu de photos de lui subsiste et ce sont des institus officiels comme les Marines ou l'université qui en sont la source.

Pynchon est toujours vivant et se cache derrière ses 80 ans. 

(les trois dessins sont de Zak Smith, qui a fait un fabuleux travail de 760 dessins, illustrant chaque page du roman)

Aucun commentaire: