dimanche 16 juin 2013

Pierre Bourgault

1994. Montréal.

J'attendais une amie dans le corridor en face d'un local de production audio de l'UQAM. Nous avions un document à monter, c'était un foutu travail d'équipe, et comme d'habitude je bossais plus que les autres. L'imbécile d'amie était en retard pour la millième fois. Elle était TOUJOURS en retard et, pour une fille qui voulait que je tombe amoureux d'elle (ce qui m'avait été confirmée par une de ses amies) c'était la pire manière de s'y prendre. Elle ne s'en excusait que très faiblement, misant toujours sur un charme qu'elle n'a jamais eu.

Je la méprisais alors, je la méprise encore.

Je fulminais dans le corridor de l'université en faisant les 100 pas quand j'ai entendu une voix rauque me parler.

"T'as l'air d'un petit chien qui serait prêt à mordre" m'a dit Pierre Bourgault qui fumait dans le corridor. 1994, oui on pouvait fumer dans les corridors. Enfin si on ne le pouvait pas, Bourgault s'en moquait bien. Je me demande même si il ne fumait pas en classe. Je ne l'avais pas eu comme prof, mais avait assisté à au moins un ou deux de ses cours en y suivant un ami qui l'avait comme enseignant. Bourgault était franchement intéressant. Ne consultait jamais ses notes. Un orateur hors pair. Je ne me souviens plus beaucoup de l'échange que nous avions eu dans ce corridor à attendre l'insupportable Plum-Pudding Attenmwé. J'étais trop hors de moi-même. Je me rappelle, je travaillais ailleurs et n'avais pas le temps d'attendre là où je le faisais. Je me souviens aussi que Bourgault était tout posé. Charmeur. Peut-être même en train de tenter de me séduire. L'orateur en feu que tout le Québec a connu était au repos à se griller les alvéoles. Quand Miss Plum-Pudding est arrivée, là c'est moi qui était en feu et ma conversation avec Bourgault a coupé court.

C'est plus tard que je m'étais dit que j'avais un moment privilégié avec un grand communicateur de chez nous et cette idiote avait réussi à la fois à me le créer et à me le gâcher.

1934. East Angus. Pierre Bourgault voit le jour. Sans avoir terminé ses études, il rêve de faire du théâtre et après quelques essais plus ou moins réussi comme comédien à Radio-Canada, y travaille finalement comme régisseur.

Dès 1960, il se positionne en défenseur du peuple, dénonçant les injustices, plaidant contre la peine de mort, reconnaissant le droit à l'avortement, et prônant l'indépendance du Québec. La loi 101 n'existe pas encore, pas même la loi 22 et les injustes parlent anglais. Ce sera un complexe qu'il trainera toute sa vie.

Le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN) fondé par André D'Allemagne, Jacques Bellemare et Marcel Chaput est fondé en 1960. Très rapidement, on découvrira l'extraordinaire talent d'orateur de Bourgault et on le pousse en avant pour être la voix du RIN. Il n'est plus comédien, il joue à être lui-même. À 30 ans, alors que le Québec est en plein cœur de la Révolution tranquille, Bourgault devient le président du RIN. Et un redoutable tribun.

Ayant vent de la formation du Parti Québécois, Bourgault quitte ses fonctions en 1967 et dissous son parti l'année suivante afin de ne pas nuire au PQ de René Lévesque. Les purs et durs de nos jours dans le PQ sont des gens très près des visions du RIN de l'époque. Lévesque ne les aimait pas particulièrement, les trouvant nuisibles. Bourgault surtout. Ça affectera Bourgault beaucoup.

Il avouera plus tard que ce fût la plus grosse erreur de sa vie et quitte lui-même le PQ en 1981.

Entretemps, il écrit dans l'édition française du MacLean's où il couvre l'effervescence culturelle de l'époque. Il signe des chansons pour Charlebois ou pour Steve Fiset. En 1976 il commence à enseigner à l'UQAM, ce qu'il fera jusqu'en 2000. Il sera aussi Chantal Bissonnette dans un magazine olé olé, afin de parler librement du désir des hommes.

Il publie quatre fois dans les années 80, des livres fort populaires et qui vendent bien. Bourgault a de la gueule et qu'on soit d'accord ou non avec lui, il brûle toujours du feu de l'argumentaire.

Dans les années 90, il sera à la fois chroniqueur dans le journal et à la fois chroniqueur radio. Il reste une sommité de la communication et adore débattre. C'est un cerveau en constante ébullition. Il est invité un peu partout. Un de ses anciens élèves en fait un dresseur de ver dans un classique du cinéma Québécois.

Jusqu'à ce jour de juin 2003 où il ne se réveille plus. Décédé du cancer du poumon.

Aujourd'hui il y a 10 ans déjà.

J'ai regretté de ne pas voir jasé plus longtemps avec Bourgault sur de vrais sujets ce jour de 1994. Moins d'un an avant le grand vol de 1995.
Ce type d'orateur manque à notre paysage politique.
Cette race d'orateur n'existe plus.

Si le Québec devient un pays un jour, il faudra donner une petite paternité à Bourgault même si il n'est plus parmi nous.

Radio-Canada a présenté toute la semaine dernière, une heure par jour de morceaux de Bourgault.
Faites-vous plaisir à 6 jours de notre grande fête Nationale.

1 commentaire:

Cybèle a dit...

Bourgault, mon héros de toujours.

«Si le Québec devient un pays un jour, il faudra donner une petite paternité à Bourgault même s'il n'est plus parmi nous.«

Bien moi j'y donnerais une grande paternité!

À un moment donné dans sa vie il était mal pris, aucun travail, sans aucun revenu, ça allait vraiment mal pour lui, aucun souvereiniste ne l'a aidé, encore moins Lévesque. Il est allé voir Bourasa, lui il l'a aidé!

Quand tu vas voir ton ennemi pour qu'il t'aide, faut vraiment que tu sois dans la misère et que ce même ennemi d'aide, c'est à se demander qui sont réellement tes ennemis, mais surtout, tu dois te sentir bien seul.