vendredi 3 décembre 2021

Naissances & Désintégration


4 Semaines de Janvier, en 1969.

John: "Je prendrais bien un 5ème Beatles, moi"

Paul: "4 est déjà suffisamment compliqué"


Cet échange entre Lennon & McCartney s'est tenu au jour 15 d'un marathon de 22, de pratiques pour quelque chose d'encore vague, mais qui était pensé d'abord pour la télévision. En 1969. Est-ce que ce serait une émission télé spéciale? un album? un concert? un documentaire? la nature du projet changeait tous les jours, parfois deux fois dans la même heure. Pendant ces 4 semaines, les Beatles perdraient George Harrison quelques jours mais verraient aussi l'excellent claviériste Billy Preston, se greffer au band. Parfois John était tout simplement absent ou fantôme. Ringo s'est présenté absolument tout seul, une de ces journées. Avec fatalisme et annonçant la chute collective à venir, Paul murmure à un certain moment "And then they were two, and then they were one". On pourrait aussi ajouter, "And then they were none".


Le documentaire Let It Be, monté des tonnes d'images de Micheal Lindsay-Hogg avait été lancé en 1970, tout de suite après l'annonce de la séparation des Beatles. Le timing avait alors obligé une différente lecture du film. Au lieu d'y lire la magie de 4 superstars dans l'antre de la création géniale, on voulait, et on pouvait y lire, l'amorce de la désintégration des Fab Four. Seuls ensemble. On pouvait aussi tenter de comprendre pourquoi le révolutionnaire groupe de musique se scindait. Yoko Ono, présente comme l'ombre de John, sera facilement vilifiée. Plusieurs pensent toujours que c'est elle qui a séparé le mythique band. Ils sont l'air si sérieux et si désabusés parfois, pas de cabotinages, peu d'amusement, peu de création collective. 4 personnalités dans 4 coins ou isoloirs différents. Il y a cet élément, dans le film de Lindsay-Hogg, que tout s'écroule, que tout le monde s'en fout un peu, la tête ailleurs, et que personne ne freinera la désintégration qui se dessine. Ça culmine avec le fameux mini-concert sur le toit, en plein air, 4 gargouilles chantant leur destin aux rues de Londres. L'album du même nom serait leur 12ème et leur dernier lancé pour le public (Abbey Road, le réel dernier enregistré en studio).


Les images du documentaire ont toujours été vues, depuis plus de 50 ans, comme le dernier mot de ce qu'avaient été les Beatles. L'évidence qu'un groupe de musique, qui avait changé le monde entier, pouvait s'éteindre platement comme ça. Sans bruit. Presqu'en un murmure. 

La vie est bien entendu nettement plus compliquée et ne se résumera jamais convenablement en 80 minutes fragmentées. Peter Jackson, créateur des films de la trilogie cinématographique du Seigneur des Anneaux, a attaqué les tonnes d'images de l'équipe de Lindsay-Hogg de l'époque, et c'était son rêve de retravailler les plus de 60 heures d'images et 150 heures de son. Les fans des Beatles ont probablement, dans leurs obsessions rêvé que quelqu'un y plonge depuis longtemps, aussi. Get Back est lancé en plus d'une partie et sur presque 7 heures sur la chaine Disney (pour le moment). C'est une plongée intime dans ce fameux mois, des premiers jours au Twickenham Studio (quand on pensait faire une émission spéciale pour la télé) et on se rend au toit du tout neuf building du studio Apple. C'est un regard sans distorsion, sans filtre, une mouche sur un mur.


Le premier épisode récapitule in expresso qui sont les Beatles de 1956 à 1969. On ne perd pas beaucoup de temps sur leur carrière, c'est déjà lourdement documenté ailleurs. On veut le corps sur la civière, on est prêt pour l'autopsie. On comprend qu'à partir du moment où Epstein disparaît, ou le band choisit de ne plus jamais faire de scène, en 1966, ils entrent en studio, et ne seront jamais plus tellement "ensemble" par la suite. Lindsay-Hogg sera recruté par Lennon qui travaille avec sur le Rock'n Roll Circus des Rolling Stones. 


Au début, on nage dans les idoles d'antan, comme un vieux couple tentant de retrouver la passion du passé. Eddie Cochran, Chuck Berry et ainsi de suite. Il n'y a aucune urgence pour ces privilégiés. Après deux semaines, on a toutefois encore absolument rien créé. On ne sait même pas si c'est un album ou un concert qu'on prépare. Et en deux semaines maintenant? Avec ce qu'on a ? McCartney pense qu'ils devraient jouer au parlement et se faire escorter à la sortie par la police qui les expulseraient des lieux. Lindsay-Hogg propose sans arrêt de jouer en Lybie et on parle d'un bateau pour y amener des fans (des fois que les Lybiens soient sourds?). Ils sont supposé composer de la musique, mais ne le font pas.


Puis, ils le font. Naissance de musique, magie de la création. De précieux moments ont été tournés partant de rien, d'un accord, d'essais/erreurs, on part de rien et on a tout à coup presque tout. On voit naitre la chanson Let It Be. Get Back, la chanson aussi, nait spontanément. Ringo présente Octopus' Garden, qui sera de Abbey Road, et on voit George amener son idée floue dans des eaux plus claires. Et devenir réalité.


La vraie révélation c'est la vibe. En regardant le film de 1970, on ne peut que penser "pourquoi les Beatles ne se sont ils pas séparés plus tôt?" Get Back nuance. Il y a de la chimie naturelle. Des rires. Des inspirations soudaines. Partagées. Paul & John se lancent des craques comiques comme deux vieux amis d'enfance. Ce qu'ils sont toujours, un peu. Pas tant non plus. Il y a de très beaux moments. Oui, il y aussi le contraire. Des désaccords. Mais des désaccords dans les collaborations artistiques, c'est tout simplement normal. C'est toujours la profondeur des deuils qu'il faille mesurer. Quand George en a assez et quitte, John & Paul en discutent sans savoir qu'un micro dans un pot de fleur les enregistrent. C'est du 100% vrai. Et dit tout de la relation John-Paul sur le point de s'éteindre. Magie encore. Ils ne peuvent pas perdre un frère ainsi. George sera convaincu de revenir. Billy Preston arrive presqu'au même moment. Le focus semble du même coup maintenant ancré.  


Yoko y est partout. Mais Linda Eastman, conjointe de Paul, aussi. La pire présence toxique n'étant ni l'une ni l'autre mais la fille de Paul & Linda, Heather, trop jeune parmi les grands. Dérangeante en tout temps. La femme de Ringo se pointe au moins une fois, quelques Hare Krishna traînent autour de George et prient dans le coin. Il se passait beaucoup plus que Yoko, inerte, assise près de John en manteau de fourrure, ou tapant du pied. Ce que Jackson nous montre est riche en rythmes parallèles tous les jours. Parfois c'était des bougies d'allumages, parfois, des éteignoirs. John est toujours en retard, Paul est souvent irrité, George ne veut plus être considéré comme un musicien de session, (il écrit ses meilleures chansons à vie la même année d'ailleurs) Tout le monde aime Ringo, calme et raisonnable. 


C'est facile d'oublier à quel point ces boomers étaient si jeunes. Personne n'avait 30 ans. John & Ringo en avait 29, Paul, 27 et George seulement 25!!! Est-ce si surprenant qu'à 25 ans, on ait pas envie de se faire bosser par les autres?

Bien qu'il y ait beaucoup à discuter, à débattre, et tout autant à digérer. Ce qu'a fait Peter Jackson n'est pas une "correction" de la narration de l'effort de Lindsay-Hogg, il y a plus de 50 ans. C'est la présentation d'une plus large perspective, des 4 semaines de 1969, à voir et à entendre, alors que deux de ceux-là ne peuvent plus se défendre. Une vision de l'espace créatif et mental de 4 garçons dans le vent qui ont tant inspiré, dans la nuance, la complexité et l'humanité.

Et qui continuent de le faire, à leur manière.   

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