samedi 13 juillet 2013

Afghan Girl

Elle était furieuse, c'était un étranger.

Elle n'avait qu'à peu près 12 ans. Jamais n'avait-elle été prise en photo auparavant. Et jamais plus ne sera-t-elle photographiée avant d'être retracée 17 ans plus tard avec le même photographe du National Geographic qui a immortalisé à jamais ce splendide regard de fureur afghane en 1984.

Le photographe, Steve McCurry marchait dans la lumière douce d'un camp de réfugiés au Pakistan qui était une pléthore de tentes. Dans la tente supposée représenter "l'école", il l'a remarquée tout de suite parmi les élèves. La devinant intimidée face à sa peau de blanc, il l'a toutefois approchée en dernier. Elle lui a dit qu'il pouvait la prendre en photo sans savoir réèllement ce que ça voulait dire. McCurry ne pensait pas que cette photo serait tellement différente des autres qu'il avait prise ce matin de 1984 à croquer de l'instantané dans les camps de réfugiés afghans.

Le portrait fait par McCurry est devenu l'un de ceux qui vous colle à la mémoire pour toujours et en juin 1985, cette photo a fait la une du National Geographic devenant la photo la plus célèbre du magazine. Les yeux vert océan, le regard hanté, dans lequel on peut lire la tragédie d'un pays dévasté par la guerre, son visage est devenu LE visage féminin du Moyen-Orient pour une grande partie du monde entier.

Et pourtant personne ne savait son nom. Elle était officiellement "Afghan girl" et, orpheline, allait rester anonyme encore longtemps.

17 ans plus tard, McCurry et une équipe se sont rendus dans les environs où la photo avait été originalement prise et ont montré sa photo à des gens de Nasir Bagh, toujours un camps de réfugiés près de Peshawar au Pakistan.

On a d'abord dirigé McCurry vers une enseignante qui lui ressemblait mais qui n'était pas elle. Un homme qui avait été au même camp qu'elle enfant a ensuite dirigé McCurry a confirmé qu'elle vivait maintenant dans les montagnes dans le secteur de Tora Bora. Un rendez-vous a été arrangé. Ça a pris trois jours à la jeune femme et 6 heures de route avant de rencontrer McCurry qui l'a reconnue tout de suite.

Sharbat Gula est Pachtoune, le plus guerrier des clans afghans. On dit d'eux qu'ils ne sont en paix qu'uniquement en guerre et ses yeux, autant en 1984 qu'en 2002, brûlent d'intensité féroce. Elle avait 28, peut-être 29, peut-être même 30 ans. Personne, pas même elle, ne le sait avec assurance. Les histoires sont du sable dans le vent là où la mémoire est continuellement réécrite par les gens au pouvoir.

Les temps durs et les insuffisances ont effacé sa jeunesse. Elle a pâli. Sa peau a la texture du cuir. La géométrie de sa mâchoire a changé mais ce regard, toujours aussi perçant est toujours aussi dur. Les Afghanes ne peuvent pas sourire à un étranger une fois mariée, pas même le regarder dans les yeux. De toute façon pourquoi sourire? 23 ans de guerre, 1,5 millions de morts, 3,5 millions de réfugiés, c'est l'histoire de l'Afghanistan depuis toujours dans ses yeux ocean/mer. Ce regard qui défie le nôtre. Qui dérange. Comment ne pas la fixer?

Elle avait peut-être 6 ans quand ses parents ont été assassinés par les Soviétiques. De jour, on saignait les morts et la nuit on les enterrait. Et toujours ce bruit d'avion qui lui poignardait les oreilles et le coeur.

Elle a quitté l'Afghanistan avec ses soeurs, sa grand-mère et ses frères parce que les Russes étaient partout. Et tuaient sans discrimination. Ils ont marché pendant une semaine dans les montagnes enneigées tentant de se trouver des couvertures de fortune, se cachant dans le grottes. Ils ont abouti dans le camp de réfugiés où McCurry l'a trouvée en 1984.

La tragédie afghane est perpétuelle. Invasion. Resistance. Invasion. Depuis toujours. Chaque changement de gouvernement amène son lot d'espoir mais chaque fois ils sont trahis par des intérêts étrangers qui viennent se mêler de leurs affaires. Sharbat Gula, asthmatique, ne pouvant rester en ville, a été mariée autour de 13 ans, et a eu 4 enfants dans les montagnes. Une ne survivrait pas. Dans sa montagne il n'y a pas d'école, pas de pharmacie, pas de soins pour la santé, pas de route ni d'eau courante. Il y a du maïs, de l'avoine, du riz et des noyers.

Ses journées vont comme suit: elle se lève avant le soleil, prie, va chercher de l'eau dans le ruisseau, cuisine, s'occupe du ménage de la maison à aire ouverte, fait le lavage et s'occupe de ses trois enfants qui sont le centre de sa vie et pour lesquels elle souhaite l'éducation qu'elle n'a pas eue. Son mari gagne 1 dollar par jour en travaillant dans une boulangerie en ville. Il l'investit généralement sur les soins médicaux afin de gérer l'asthme de Sharbat. Il habite peu avec elle car la ville est à 6 heures de distance, il y reste donc la plupart du temps.

Elle ne connait pas le mot "sécurité", ni le feeling. Elle prétend que sous les Talibans au moins il y avait la paix et l'ordre. La soumission oui, mais la paix et l'ordre quand même. Avant 2002, elle n'avait jamais vu la photo prise par McCurry. Elle ne comprend pas l'effet qu'à pu avoir sa photo dans le monde. Elle peut écrire son nom mais ne sait ni lire ni écrire.

Elle ne connait en rien la puissance de son regard.
Elle aurait à peu près mon âge aujourd'hui.

McCurry, un Étatsunien, depuis 2002 aide financièrement la famille de Sharbat Gula.

2 commentaires:

Cybèle a dit...

«McCurry, un Étatsunien, depuis 2002 aide financièrement la famille de Sharbat Gula.«

C'était la moindre des choses à faire, elle lui a amené la notoriété.

Jones a dit...

Tout à fait.

Notoriété et célébrité.

La notoriété c'est lorsqu'on remarque votre présence, la célébrité c'est lorsqu'on note votre absence.

Ça aura pris tout ce temps mais elle aura manqué à McCurry.