dimanche 14 mai 2017

Surtaxe du Désespoir

Je n'achète jamais de billets de loto.

Faux. Plus jeune, je venais d'avoir l'âge légal pour acheter ce type de billet, j'avais entendu que les Cowboys de Dallas étaient à vendre pour 40 millions, ce qui était la somme exacte qu'allait offrir la loto locale. Par pur fantaisie, j'avais acheté un billet, comme un désillusionné garçon.

Mais depuis, chaque fois que j'en ai acheté, c'était l'amoureuse qui m'y envoyait et j'étais aussi confus dans le processus d'achat qu'un ministre des transports en poste.

Je n'achète jamais de billets de loto. Ça me déprime et ça me fait toujours penser au plus petit des pains. Placer tous ces espoirs dans la chance de gagner beaucoup beaucoup d'argent et de douter de tes amitiés réelles jusqu'à la fin des temps? non merci. Le doute m'habite déjà trop. 1 chance sur quelques millions de gagner quelques millions. C'est la même proportion de chance que j'ai de recevoir en pleine face, du ciel, un avion de DAESH en lisant au soleil sur ma galerie. Et si les Dieux d'allahu akbar, dans leur confuse mentalité, se trompaient dans la machine des probabilités et qu'au lieu de me faire gagner une fortune, activaient à la place l'avion qui me tombait sur la tête pendant que je lisais Salman Rushdie sur ma galerie? Non merci, aussi.

Un billet de loto c'est une surtaxe du désespoir.
Comme je paie déjà des taxes et que le désespoir est toujours au bout de la rue comme un lac voulant déborder de son lit, pourquoi en rajouter?

Plus jeune, une amie à moi travaillait dans un kiosque de Loto-Québec. Je lui avait demandé par curiosité quand vendait-elle le plus de billets? Les soirs de pleine lune? les soirs de victoires des Nordiques? les jeudis de paie? le jour de l'encaissement de chèque de bien-être social? Elle m'avait répondu que c'était dès le lendemain de l'annonce d'un billet gagnant québécois. Parce que les gens voulaient maladivement s'accrocher à une petit morceau de papier chiffré plein d'espoir plus longtemps. Et dans leur grande désillusion, souvent, ceux qui choisissaient leurs numéros, prenaient la peine de choisir des chiffres entre 32 et 49, afin de- je n'invente rien-de partager la cagnotte gagnante avec le moins de potentiels co-gagnants qui auraient choisi des dates d'anniversaires comme numéro chanceux,

Dans le désespoir, on pige les premiers dans le sac à faces.

Cette amie a ensuite développé son talent d'illusionniste d'espérance pour ensuite aller bosser au casino, où elle y gagne très bien sa vie. Elle fait face tous les soirs à bien pire. Des gens qui se convainquent qu'ils ont compris la machine, des experts de la pensée magique, des naissances d'alcoolisme, des suicides qui n'attendent qu'à se commettre, des couples qui ont choisi le moment et l'endroit pour y faire mourir leur amour commun l'un pour l'autre, des gens qui viennent tester leur confiance en la vie, des entreprises qui seront placées en faillite, des familles décimées qui ne le savent pas encore, mais surtout, des gens qui se font croire qu'ils ont beaucoup plus d'argent qu'il n'en ont réellement et qui, dans le processus ne voient que la somme qu'ils pourraient toucher si un avion de fortune leur tombait sur la tête pour rien.

Décrocher de la maladie du jeu est nettement plus difficile que bien des choses. On reste un joueur en tout temps. Cesser de fumer, c'est l'histoire de quelques semaines, quelques mois. Cesser de prendre de la liqueur ou du chocolat, une cure de quelques semaines ou de bonne volonté têtue. Cesser de jouer? presqu'impossible. Au feu rouge, on pariera mentalement sur la voiture qui arrivera/partira la première. Dans une salle bondée, on misera sur la première femme à croiser son regard. Dans des situations professionnelles corsées, on jouera le tout pour le tout, parfois au détriment de son jugement, et avec des conséquences nettement plus graves que la perte personnelle de quelques bidous.

On apprend à mentir en revenant du casino aussi. La question inévitable que les gens posent quand les gens disent qu'ils sont allé au casino c'est "Pis? as tu gagné un peu?" vous remarquerez que le mensonge la réponse est toujours la même. "Oh! plus ou moins 100$ ". Cette personne ne se vantera très certainement pas d'avoir perdu près de 600$ après avoir frôlé les 800$ de gain.

Personnellement, et je suis aussi vrai qu'une taxe sur vos chèques de paye, je suis allé 3 fois au casino pour y jouer. La première fois, c'était à Montréal avec des amis. C'était de l'initiative de ceux-ci. L'amoureuse avait apporté un simple 20$ et moi 1,75 en monnaie, dans le but de précis de ne pas vraiment jouer. De se satisfaire des lieux et pour ma part d'observer l'art de mon amie qui y travaillait, se déployer, jaser un peu avec elle et ne pas trop la déranger à l'oeuvre. À la machine à sous, l'amoureuse s'était mise à gagner. J'avais donc investi, moi aussi, les sept 25 sous que j'avais en poche sur une autre machine. Je gagnais moi aussi. Beaucoup plus que l'amoureuse. Bien assez vite, j'avais 225$, né de mon 1,75$. L'amoureuse, ayant gagné 125$, mais ayant choisi de se retirer est venue me rejoindre, on a combiné les cagnottes, et on a joué ensemble, se relayant les bras de la machine à sous et frôlant le 300$ de gains qui était devenu un inconscient objectif. Puis, nous sommes peu à peu retombés à 150$. Et sommes devenus plus ou moins 100$ de gains en nous retirant. Mais c'était un gain semi-amer. On avait presque touché au 300$. On le savait trop. Ce n'est qu'avec le recul que l'on se félicitait de nos mise de départ de 20$ et d'une maigre piasse, soixante-quinze sous.
"Beginner's luck" nous avait dit nos amis qui avaient perdus des fortunes impensables pour nous alors, ailleurs dans le casino. Nous étions le couple gagnant de la soirée, mais le retour en groupe en voiture avait un drôle de parfum d'inconfort.

La seconde fois c'était à Charlevoix où nous y avons une chambre d'hôtel au manoir. 20$ chacun, brûlé en moins de 20 minutes. Mais j'y avais rencontré le cousin d'un bon ami qui y travaillait et on a avait jasé à bâton rompus. Moi, rompu de 20$.

La dernière fois, à Atlantic City. Même scénario. 20$ chacun en moins de 20 minutes. Mais pas de chummey avec qui jaser de la déconfiture. Juste les beaux yeux verts de l'amoureuse, un peu déçue.

On s'est retiré des casinos avec une fiche de 1-2, mais +45$ dans notre rapport investissements/gains. . les seules autres fois qu'on a foulé le décor c'était de force sur des bateaux de croisières. Sans jamais jouer.

Je réalise à l'instant que tout ça pourrait être perçu, justement, comme le mensonge dont je vous parlais plus haut. "Je ne joue jamais...plus ou moins 100$".

Et ben non, c'est pourtant vrai, plate et désolant +45$.

Mais rien ne me parait plus désolant qu'un billet de loto et tout ce qui grouille autour.

On dit que les Québécois sont particulièrement chanceux au pays, dans les billets gagnants.

Plus acheteurs, probablement.
Plus désespérés, aussi.

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