dimanche 29 juin 2014

Une Affaire à Bruxelles

(à S.T.)

J'étais en voiture et je voyais cette femme, belle, digne, orgueilleuse qui attendait sur le trottoir près de l'école primaire de ma fille.

J'ai ensuite vu un enfant de maternelle foncer dans les bras ouverts de la dame.

J'ai trouvé ça beau.

Puis...j'ai vu un homme sortir d'une voiture stationnée et venir porter un sac à dos à l'enfant. L'enfant n'arrivait pas de l'école pour se rendre à sa mère, il arrivait de la voiture de son père. Ce dernier a remis le sac à dos sans dire un mot à la femme qui tenait l'enfant dans ses bras et il a retourné les talons pour ramener sa tête aux lunettes fumées dans las voiture. Là où l'attendais une pulpeuse brune.

J'ai trouvé ça laid.

L'ombre des années 80 pour moi, c'était ça: les séparations de couple avec enfants. Je ne l'ai jamais vécu de l'intérieur, et peut-être que je ne trouverais pas ça si grave, je ne tiens pas à l'expérimenter, mais jamais je n'ai vraiment surmonté cet échec public rendu "acceptable".

En allant voter en avril dernier, une femme croisait un homme à la sortie du bureau de vote.

"Eille salut! t'es...? t'es revenu dans le secteur?"
"Ben oui, j'ai redéménagé dans le coin..." a dit l'homme rougissant un brin.
"Ça veut dire...ooooh! ça veut dire que vous vous êtes ENCORE...séparés..." a dit la femme sans tact aucun.

Si personne n'accordait d'importance à leur conversation, là tout le monde a levé la tête vers le multirécidiviste de l'échec amoureux. Il était maintenant rouge et ne pouvait se sauver car il était prisonnier de la ligne du bureau de vote 31.

Pour la femme, il n'a jamais semblé anormal de ne pas dire "ça n'a pas marché, dommage" ou encore d'être plus subtile dans son étalage involontaire de la vie privée de l'autre (ça devait être une obsédée de Facebook).

"Faut que je te laisse, faut que j'aille chercher mon fils chez son père" a-t-elle terminé, nous en disant soudainement autant sur sa vie privée.

Ça m'a fait penser à Suzon, une amie de Belgique.

Son aventure avec un homme marié aura duré 25 ans. Mère d'une enfant de 10 ans, son amoureux, père de ce même enfant l'avait divorcé en 1988 sans même lui verser la pension qu'il devait en théorie lui verser, ne serais-ce que pour l'enfant qu'il lui laissait dans les bras. Vivant un deuil que Suzon n'avait pas connu depuis la mort de sa mère alors qu'elle était pré-ado, désorientée, elle était tombé sous le charme de son avocat qui semblait tant savoir ce qu'il faisait. "Comment vais-je m'en sortir? Pourrais-je m'en sortir?". L'avocat ne cessait de la rassurer et de lui dire qu'il se chargerait de tout arranger.

Ce qu'il fît.

Sachant très bien qu'il était inaccessible, marié avec deux grandes filles, elle lui avait tout de même tendu un piège en le forçant à venir chez elle. "Comment peut-tu prétendre que tu peux nous aider, tu ne sais même pas dans quoi nous vivons?"

Cheap, n'est-ce pas? Une fois à la maison, tomba le pantalon.

Et pendant 25 ans comme ça, ils se sont vus en cachette. Suzon en cachette de sa fille, l'avocat en cachette de sa famille. La femme de l'avocat suspecta quelque chose une seule fois en 25 ans, et le hasard voulu que l'accusation d'infidélité survenue suite à une rare chicane entre Suzon et son amant. Il avoua à sa femme (sans mentir) qu'effectivement il avait eu une liaison mais que c'était maintenant terminé.

Il omit toutefois de souligner que trois jours plus tard, le calumet de la paix avait été fumé. Et que les cuisses de Suzon brûlaient de passion en jouant de son saucisson.

Les amis (nous) de Suzon, lui disaient qu'elle ne pouvait pas continuer à vivre comme ça, attendant perpétuellement que sa fille sortent avec des amis pour introduire l'amant en cachette. Qu'il était très facile d'aimer celui que l'on voit peu souvent, avec lequel on ne vit rien de plate comme les obligations ménagères, le train-train quotidien, les paiements d'hypothèques, les RÉER, le lavage de l'un, les traineries de l'autre, la litière de l'un, les poissons et le filtreur à changer de l'autre et autres platitudes de banlieues; qu'avoir un simple objet de désir était un beau fantasme, mais qu'à long terme, ça ne pourrait que faire plus mal à tout le monde. Elle ne pouvait pas être "l'autre femme" toute sa vie.

Mais, avec raison, elle n'en avait rien à foutre de notre morale à 5 sous. Elle tenait à avoir 17 ans, et ce, pendant 25 ans. Elle avait TOUJOURS été l'autre femme. Ado, elle avait été "expulsée" de la maison quand la nouvelle amoureuse de son père avait fait une crise de jalousie. Nous revenions tous de l'école secondaire et elle, allait à l'hôtel. Pendant ce temps, son père, qui passait tout de même plusieurs fois par semaine à l'hôtel, réinventait sa vie avec sa nouvelle amoureuse et le grand frère de Suzon. Faisant d'elle la seule victime d'une situation qu'elle n'avait pas choisie.

Avec cette relation, elle recréait ce qu'elle avait en quelque sorte connu.
Et en Belgique, ce type de chose n'était pas complètement irrégulier.

Bien entendu l'avocat, avec des filles maintenant mariées et qui avaient fait de lui un grand-père plusieurs fois, avait beaucoup moins de temps pour Suzon.

Jusqu'au jour où, 25 ans plus tard, sa femme est tombée gravement malade et que la morale lui est rentrée dans le pantalon. Il devait se dévouer à elle pour toujours.

Et il a laissé tombé Suzon.

Qui ne s'en ai jamais remis puisque la malade ne veut pas mourir.

Qui a tout avoué à sa fille et qui se l'est aliénée du même coup quand celle-ci a appris, humiliée, qu'elle avait été gardée à l'écart de ce comportement d'ado comme une gourde.

Personne n'a beaucoup de nouvelles de Suzon depuis.

Dommage,
On a tellement eu de fun dans sa chambre d'hôtel dans les années 80...

Déréglant sa vie de passion pour le bon vin, la bonne chère, les hommes faciles et sans esprit, grisés de conquête attendant leur adulatrice pour toujours.

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