samedi 28 mai 2016

Subtile Soumission

Elif est née en Amérique. Mais son père et sa mère sont Turcs. Ils ont émigré peu de temps avant sa naissance. Elif est donc américaine, mais d'origine Turque.

Retournant à Istanbul, maintenant dans la trentaine, Elif faisait très attention à la manière de s'exprimer afin de ne pas donner l'impression d'être trop occidentale. L'appel de la prière, avec les voix de 6 à 7 mosquées qui se concurrençaient toute la journée commencèrent à l'agacer peu à peu. Dans la rue, alors qu'elle se déplaçait d'un endroit à l'autre, ça lui plaisait. Ça désennuyait le banal. Mais une fois à l'appartement d'un ami, les voix mâles devenaient profondément envahissantes. Elle confessa à son ami, que bien que ceci la ferait passer pour une traître, les prières finissaient par la mettre en colère. Son ami en rigolait et lui disait de faire comme si c'était une musique populaire. "Mais ce n'est pas une musique populaire pour l'agnostique!" répondait-elle. "Ici, oui" concluait-il.

Parce qu'Elif parlait turc de manière imparfaite, souriait beaucoup et facilement et se déplaçait souvent seule, elle a vite attiré l'attention et s'est fait sermonner par quelques mâles. Des chauffeurs de taxi surtout. Certains lui expliquaient que porter le foulard était quelque chose de très beau, de très féminin. Que c'était une exigence de respect de la part de la femme. Qu'il n'y avait aucune confusion sur les intentions d'un sourire venant d'une femme la tête couverte. D'autres ne tentait même pas de discuter se terrant dans le mépris du regard et le silence de la déconsidération.

Une fois, elle avait lancé à un chauffeur de taxi que toutes les femmes devraient être respectées peu importe la situation et que ça ne devrait pas dépendre de leur cheveux. Celui-ci avait répondu qu'elle avait raison, car après tout, les hommes étaient bien pire que les femmes, et qu'ils pouvaient parfois se laisser emporter dans des idées asses sales, incluant peut-être parfois le viol quand le désir se fait trop envahissant. Elif avait trouvé sa réponse fallacieuse. C'était donc, porte le voile ou le viol sera justifié?

En se rendant à son hôtel, le commis au comptoir avait sursauté quand elle lui avait dit qu'elle restait 6 jours. "Seule?" avait-il dit, stupéfait. Il avait fait enlever tout l'alcool du mini-frigo de sa chambre et lui avait indiqué que les bains vapeurs n'étaient disponibles que pour les hommes. Au restaurant, le serveur avait "oublié" d'aller prendre sa commande à sa table à partir du moment où elle avait parlé en anglais au téléphone quand son ami l'avait appelé. Ce qui avait semblé être un outrage pour tous autour. Elfi avait abandonné et s'était couché sans manger.

Visitant un site sacré le lendemain, elle devait obligatoirement porter le foulard. Elle s'en acheta un. Le porta. L'oublia même sur sa tête. Mais n'oublia pas le changement d'attitude des gens autour. Marchant dans un parc, Elfi croisa deux splendides jeunes femmes, voilées, qui riaient d'une bonne blague racontée entre elles. Le regard, mais surtout le sourire, étrangement complice, avait croisé celui d'Elfi. Et ce n'est que là qu'elle réalisa que c'était le premier contact visuel qu'elle avait eu avec des femmes de Turquie depuis son arrivée. Des regards charmeurs, amicaux et fraternels. Pour la première fois depuis qu'elle avait mis le pied en Turquie, Elfi sentait qu'elle pouvait regarder n'importe où, marcher seule partout, sans rencontrer une hostilité latente autour.

Elfi garda le foulard et rencontra de la gentillesse partout. Les hommes qui changeaient de trottoir ou laissaient une porte se refermer sur le nez d'Elfi, lui laissaient maintenant de l'espace partout, lui tiraient des chaises, lui tenaient la porte. Lorsqu'elle manqua l'autobus, le chauffeur prit même la peine de le réaliser, d'arrêter son bus entre deux parcours et un autre homme lui avait tendu la main, l'appelant "ma soeur" pour l'aider à monter à bord.

Elfi était adoptée. désirée, chérie, aimée.

Elfi se sentait tellement heureuse.

Elle garderait le foulard pour les 3 derniers jours. Elle était chez eux après tout, ce n'était pas à elle, l'étrangère de leur quoi et comment le faire.

Elle était chez eux après tout, elle se devait d'épouser leurs manières.

Elle était chez eux après tout, elle se devait d'adopter leur moeurs. Même jugées discriminatoires sur son territoire d'Amérique.

Comblée, ravie, elle revisitait les 6 derniers jours à Istanbul dans l'avion qui l'a ramenait en Amérique.

Un nouveau monde s'était ouvert à elle.

Sa conception de la vie était bouleversée.

Ses repères avaient tous soudainement changés.

Comme l'avait fait ce livre dans lequel elle replongeait qui, lui aussi avait complètement bouleversé sa vie et l'avait ébranlée.

Fifty Shades of Grey.

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