mercredi 2 novembre 2022

Ailes (Elle)

C'était 2014. 
Notre grand bonhomme en était à la fin de son secondaire 3. Notre plus jeune, notre fille, était finissante de son école primaire.

À chaque fin d'année, l'enthousiaste prof de musique montait une sorte de spectacle où tous les groupes, de la maternelle à la 6ème année allaient chanter au moins un morceau. Ma fille, chantant probablement comme une casserole, était souvent placée très en arrière. Et comme elle est de petite taille, quand je filmais, on ne la voyait jamais. Tout le monde avait une tête ou deux de plus qu'elle. Si bien, qu'une année, je m'était placé sur le côté pour les filmer. Et je découvrais, à ma grande stupeur, qu'elle s'y trouvait bien, mais chantait assez peu, ce que personne ne remarquait, cachée derrière, et qu'elles étaient deux, à beaucoup rigoler, toutes deux très petites, et bref, ce que je filmais n'était au final, pas tellement révélateur de talent.  

Donc, pour le show de 6ème année, après 4 ou 5 ans, à filmer du pas trop réécoutable, je m'étais présenté, de jour, ce qui m'avait d'abord fait sacrer, dans le gymnase scolaire, en me disant que cette fois, je ne me fendrais pas en 4 pour filmer. J'étais en maudit parce que QUI est disponible, de jour, entre 14h et 15h00 ? EST-CE QUE PERSONNE NE TRAVAILLE ? je crois même que c'était un jeudi. Le gymnase était plein. J'entendais mes soeurs, ma mère, mon père, tous enseignants, je les imaginais organiser ce genre d'activités de fin d'année, et d'invoquer le saint sacré syndicat du christ, afin de justifier qu'il n'était aucunement possible de faire ce type de choses, en soirée. À heure de majorité de travailleurs hors bureaux. "Nous aussi on ne veut pas travailler hors des heures de bureau!" les entendais-je ruminer du 418. J'étais dans le 450. De jour. Et tabarnak qu'il y en avait des beautés désespérées qui étaient donc disponibles! Arrivé légèrement en retard, sur une fesse, suant, pas certain si son groupe était déjà passé,  parce que mon travail m'avait gardé trop longtemps au bureau, je me résignais à peut-être avoir manqué sa prestation. Les grades n'étaient pas nécessairement présentés dans l'ordre. 

Mais les 6ème année, en général, ils faisaient un spécial pour en faire le numéro chouchou du show. Mes chances étaient bonnes. Comme de fait, leur numéro, après avoir discuté avec un parent mieux informé, allait passer effectivement en dernier. Intérieurement, je me disais, courir autant pour finalement attendre au dernier numéro...bon... j'écoutais les performances des autres. Y avait pire comme châtiment. 

Oui.

Y avait pire. 

Son groupe arrive, en fin de spectacle. Ils ont tous une flûte au bec. Commence un morceau que je ne connaissais alors pas. Wings, de Macklemore. Je ne connais pas le morceau du tout. Je ne comprends pas complètement le premier 30 secondes qui n'est que le chanteur, original, qui chante, en pré-enregistrement. Du rap. Mais à la 31ème seconde, la partie synthétiseur est jouée soudainement par tout le groupe, à la flûte. Ça me saisit droit au coeur. L'arrangement dure jusqu'à la première minute, où la flûte devient plus saccadée, suivant le rythme original (je le découvrirai après) des synthés. Une seconde partition de flute joue derrière autre chose, puis à 1:25 les flûtes qui sortent des becs, les voix qui ont peu muées, les mots en anglais du refrain "I wanna fly, can you take-me-far away, give me a star to reach for..." les larmes qui me montent aux yeux. Chrrrrrrrrrrrrrrrrrrist que c'est beau. 

Je vous le réécris, réécoute le morceau, mes yeux s'humidifient. 

Le rap reprend, cette fois, ce seront des jeux de voix qui feront les synthétiseurs. Mais comment peuvent-ils être aussi touchants ? à 2:45, un petit moment musical pré-enregistré. Je crois que c'est là que les larmes ont versé. Maudit, je n'ai rien filmé. La flute reprend, saccadée. Le chant des jeunes reprend.

C'est si beau. This is the best day of my life.  Yet, the worse. Je n'ai rien gardé pour la postérité, sinon un souvenir. Ces jeunes de 11-12 ans, ne veulent que prendre leurs ailes et voguer vers le monde des grands. Une douce flûte est jouée en fin de chanson, derrière les mots de Macklemore, et ce, jusqu'à la fin. Cette fois, ma fille était droit devant. Fière. Mais surement pas aussi fière que son père. 

Voilà que le bébé devenait une "grande". Et faisait pleurer son père dans le processus. 

Elle ne cessera plus de nous surprendre. Et de nos jours, jeune infirmière en devenir, elle ne peut pas rendre son papa plus fier, aussi. 

Je n'ai rien filmé ce jour-là. il y a 8 ans. Mais chaque fois que j'entends ce morceau de Macklemore, morceau qui a lui, 10 ans, Le coeur me saisit encore. 

Parce que ce j'entends, n'est pas ce qui joue. J'entends 2014, dans un gymnase. Dans le noir ensoleillé.

Le souvenir de ce moment non filmé de ma part. Mais enregistré à jamais dans ma tête.

Et dans mon coeur, semble-t-il. 

Une version parallèle. Une version personnelle. Une version pour le père qui s'émerveille. 

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