Le 31 mai de l'an dernier, prétendument, l'éditeur Michel Brûlé, trouvait la mort, en vélo, loin des regards, au Brésil.
Prétendument.
Peu y ont tout de suite cru. Moi le premier. Je n'y crois encore qu'à 30%. Il aurait descendu une côte dangereuse, aurait été intimidé par une voiture ou un croisement de voitures, sa tête aurait frappé une affiche de la route, et il serait tombé dans un ravin. On disait qu'il s'était cassé le cou. On a eu le temps d'appeler son frère, qui est venu sur les lieux et il serait mort dans ses bras.
Aucune photo, sinon toujours la même du vélo, crochi.
Brûlé portait tristement son nom.
J'ai eu deux très brefs contacts directs avec Brûlé dans ma vie. Le premier, au Bar Le Cheval Blanc où il était passé à notre table nous vendre son Manifeste des Intouchables. Un essai sur la culture en général et un ramassis d'observations sociales, critiquant principalement la génération précédent la sienne, les baby boomers. Ça nous avait parlé un peu étant, nous aussi, de la génération X et avions acheté ce livre à deux. Mon co-loc et moi. Je crois que ce co-loc, toujours grand ami à moi, un frère même, l'a encore. C'était malhabile et on avait eu quelques rictus ici et là, je me rappelle qu'il évoquait l'émission Salut Bonjour, entre autre, et lorsqu'il nous avait vendu son essai, il n'était pas encore chauve. Pas que je me rappelle.
La seconde fois, il l'était. Chauve. La boule à zéro. Et ma conjointe et moi étions au Salon du Livre de Montréal, au kiosque des Intouchables, sa maison d'édition. Il avait un succès monstre avec les livres jeunesse de Bryan Perro & India Desjardins. Je racontais l'anecdote de ma première rencontre "avec le boss de la maison d'édition" que je viens tout juste de vous écrire, à ma conjointe et ce n'est que là que j'ai vu sa tête chauve se tourner vers nous. Il avait tout entendu et avait confirmé ce que je venais de dire. "oui, je vendais de table en table, dans les bars". Il regardait surtout ma conjointe. Et avec le recul, la déshabillait des yeux, surement aussi. On avait échangé un peu, mais si peu que je ne me rappelle pas ce qu'on s'était dit. Ça m'avait surpris qu'il soit si seul sur le plancher de sa propre maison d'éditions, et qu'il eût pu porter attention à nous. La beauté de la Femme de ma vie devait y être pour quelque chose.
Brûlé avait bousculé le monde de l'édition en prenant des risques que les autres maisons ne voulaient pas prendre. Investir dans le livre jeunesse, entre autre. Tout le marché existant est né de lui et de ses succès dans le genre. Mais quand Perro & Desjardins ont choisi de changer de maison d'édition, le loup noir intérieur de Brûlé a commencé à tant se nourrir qu'il l'a pourri par en dedans.
Brûlé était bipolaire. Il en a été diagnostiqué pas une, mais deux fois. Et a séjourné "chez les fous" pour reprendre ses propres mots. Brûlé aimait les Femmes. Trop. Mal. Mégalo charmeur, à partir du moment où il était riche et avait un certain pouvoir, il n'avait pratiquement qu'une seule obsession: les Femmes. Et ne savait pas du tout comment s'y prendre. Sa bipolarité, il ne l'acceptait pas. Sa médication, il ne la prenait pas non plus. Il refusait de croire en sa bipolarité. Il n'acceptait pas de ne pas avoir d'amoureuse. Et comme il avait de l'argent et du pouvoir, il croyait bon se servir là où ses pulsions le guidaient. Le complexe de Dieu l'a gagné et à ses auteurs, il disait régulièrement "que tu n'est rien sans moi" Il ne le disait peut-être pas ainsi mais il pensait aussi "tu ne vivras pas sans moi". Si bien que quand Bryan Perro a manifester son envie de le quitter, il a pensé le tuer. En a parlé.
Il était créateur de malaise. Les créateurs de malaise sont toujours coupable de prendre le contrôle du moment. C'est un peu pernicieux. Brûlé se promenait nu au bureau. Montrer son pénis, accueillir les Femmes en robe de nuit, en agresser quelques unes, à défaut d'être en mesure de contrôler ses pulsions, il aimait se placer en situation de contrôle. Il a fait tout ça.
Il était partisan du tourisme sexuel, ce qui n'est pas un crime en soi. À moins de fréquenter des mineur(e)s. Mais il en parlait très ouvertement, montrait des photos, installait des moments d'inconforts fréquents. À défaut de pouvoir être marionnettiste parfait du monde qu'il se créait, il était manipulateur et se livrait à du harcèlement psychologique.
Comme ses artistes le quittaient, il a voulu être lui-même l'artiste. Il a beaucoup investi, pour ne pas dire s'est ruiné, en offrant un magazine web de 9 mois avant de fermer boutique. Il a aussi enregistré un disque, chantant souvent en Russe (il était Russophile) concocté avec des gars comme Gilles Brisebois, guitariste avec Jean Leloup. Il a aussi fait un film légèrement narcissique où toutes les voix du film étaient un peu son fil de pensée confus, et s'est organisé, improvisant, pour jouer dans son film en s'écrivant des scènes où il allait embrasser toutes les filles du film, même les figurantes.
Si vous connaissez l'histoire de Jean Eleuthère Du Pont, il y a plusieurs parallèles à faire. Puisque que naturellement, les Femmes ne l'approchaient pas, il s'achetaient des massages et du tourisme sexuel.
Ou il agressait impulsivement.
Il venait tout juste d'être reconnu d'avoir violé l'auteure Jill Côté et devait recevoir sa sentence, rendez-vous qu'il avait manqué, prétextant une mauvais connexion internet au Brésil où il se changeait les idées chez son frère. Dans la foulée du mouvement #MeToo, 30 autres accusations du même genre ou de litiges d'affaires, l'attendaient en cour. Peut-être aussi quelques causes d'arbitrage. Sa "mort" qui faisait mourir aussi toutes les causes contre lui, était aussi opportune pour celui qui aurait voulu la mettre en scène. On l'a enterré dès le lendemain. Ça aurait été filmé sur un video pas clair. Et le certificat de décès brésilien a été livré au Canada, et confirmait une mort, non pas de la tête, mais par écrasement de la cage thoracique, lorsque tombé dans le ravin. Menteries mal préparées ?
Il y aurait beaucoup de gens à mettre dans le coup pour faire semblant de mourir, mais si quelqu'un avait le talent pour le faire, c'est bien lui.
Il avait souvent parlé de se refaire une vie ailleurs, sous un autre nom, en Russie, entre autre, et il avait changé son nom sur Facebook. Il avait abusé de la vulnérabilité d'artistes, qui eux aussi peuvent prétendre avoir le complexe de Dieu. Créer de toute pièces, c'est jouer à Dieu. Mais il voulait être le Dieu le plus déifié.
J'ai écouté un balado de l'auteure India Desjardins, qui a été propulsée par Brûlé qui a cru en elle, mais India a aussi largement souffert de ses impulsions. Le Manifeste des Intouchables, de Brûlé, avec le recul, a peut-être été écrit de deux-trois jets maniaco-dépressifs.
Il y a un an, (presque jour pour jour, demain en fait) je vous parlais aussi de Michel Brûlé. Il venait de mourir, quelques jours avant.
Enfin, peut-être...
Vers la fin de sa vie, coincé par sa malsaine vision de l'entreprise du désir des corps féminins, il faisait comme plusieurs qui ont travaillé/voulu travailler avec lui : Il essayait de sauver sa peau. Michel autant que ses ouailles.
Le mouvement #MeToo aura eu ça de bon, il force une réflexion sur les liens toxiques que les hommes ont avec les Femmes.
Brûlé était cela, et toxicité du pouvoir.
Et bipolarité non médicamentée.
Cocktail fatal. Cocktail brutal.
Vous connaissez l'histoire de le grenouille et du chaudron? Celle-ci saute dans l'eau tiède du chaudron sur le rond qui chauffe et ne sortira pas même si l'eau sera de plus en plus chaude, et la fera exploser. Ça a été la vie de Michel Brûlé, non médicamenté.
Brûlé s'est probablement suicidé.
J'y crois à 30%. Malgré les 6 épisodes du balado d'India.
Mais il adorait aussi Camus. Avait une fascination pour son chef d'oeuvre La Chute. Dans son film Caïdo, des personnages ont ce livre en main. Pour rien. Simplement pour exposer son érudition. Un clin d'oeil fétiche personnel.
Il a justement à la fois vécu le titre du livre, mais a aussi copié la mort de Camus, dans un bête accident véhiculier.
En scénarisation, la boucle est parfaite.
Il peut maintenant penser à la chirurgie faciale.
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