1988.
L'auteure, qui avait gagné un concours d'essais pour le magazine Vogue, et qui en écrivait depuis, plusieurs, depuis plusieurs années, se joint à un peloton de journalistes sur le tarmac de l'aéroport de San Diego où le candidat présidentiel Micheal Dukakis se fait lancer une balle de baseball par un adjoint, geste archi calculé, et la lui renvoie sous l'oeil des caméras et de tout ceux et celles présents.
Elle partira ce de moment de "spin", qui considérait soudainement la condition physique présidentielle comme une prouesse, pour parler des médias et des mythes qui se tricotent sous nos yeux avec notre consentement collectif. Insider Baseball sera le titre de son essai dans le New Yorker, et ça traitera beaucoup moins du baseball que de la mythologie nord-américaine. Didion croquait des moments de vie et nous traduisait son époque. Elle était formidable.
Reconnue principalement pour ses essais sur la société nord-américaine des années 60, dans l'un de ceux-ci, The White Album, un essai semi récit autobiographique, la première ligne de cette chronique du Los Angeles d'alors, cette ligne disait On se raconte des histoires dans le but de simplement vivre. Les gens ont beaucoup retenu et enregistré cette ligne, mais peu on retenu la suite. On interprète tout ce qu'on vit et choisissons le narratif qui nous plait le mieux. la phantasmagorie devient alors notre expérience déguisée en mémoire. De nos jours, ça peut sembler évident, mais dans les années 60, comme les années 70 allaient aussi le confirmer, le regard sur soi était encore loin d'être réflexe aussi naturel. L'ego restait à développer, dans le privé. Le miroir était derrière la porte du garde-robe.
Qui sommes "nous" exactement? semblait continuellement se demander la prolifique Joan. Qui suis-je? aussi. Notre envie d'histoires est inévitable. Lire ses essais, c'est revivre les époques, les décennies 1960, 1970, 1980, 1990, et ainsi de suite. La lire c'était consulter un album photo d'Amérique du Nord. Une série de photos, certaines pâlies, certaines d'une beauté sans nom, certaines déchirées sur certains coins, d'autres laides. Elle était à sa manière portraitiste. À peu près au même moment où Hunter S.Thompson nous exposait son journalisme gonzo, elle était parmi les premières à nous raconter l'époque en temps réel. Ce que je tente de faire parfois ici.
On Self-Respect, Goodbye to All That, On Keeping a Notebook, ses livres ne se trouvent plus facilement. Elle se qualifiait elle-même d'anti-romantique et avait marié un colérique, un "mauvais garçon", un irlandais, John Gregory Dunne. Écrivain, aussi. Ils étaient tous deux les premiers lecteurs de l'autre. Elle était cool. De visu autant qu'à l'intérieur d'elle. Elle avait appris à écrire adolescente en retapant les histoires d'Ernest Hemingway à la machine à écrire et en tentant de retenir son flux d'écriture. Elle faisait de la non fiction comme Romain Gary en faisait parfois. Elle poignardait et scarifiait parfois. La lire pouvait faire mal à son Amérique. La précision de sa prose était une cellule d'intimité. Son écriture a forcé à raconter des histoires qui devaient prendre forme dans une certaine réalité. Ses sensibilités étaient post-modernes.
Elle doutait aussi d'elle-même, ce qui la rendait si humaine, et obligeait ses lecteurs/lectrices à douter eux aussi de tout ce qui pouvait être imposé. Incluant certains narratifs. Elle avait l'oeil d'une anthropologiste et l'imagination d'une artiste. Elle documentait la réalité, mais aussi le rêve et les désillusions. Anti-romantique était-elle. Elle a placé au coeur de son oeuvre, au début de ses terribles années 2000, son propre deuil. Celui de son époux, qui meurt de manière inattendue à ses côtés alors que le couple s'inquiète pour leur fille, elle-même dans un coma, à l'hôpital. Quand celle-ci quitte l'hôpital, Joan lui suggère de ne pas assister à l'enterrement de John, et de se rendre à Malibu, où la petite famille avait passé une large partie de leur vie. Leur fille fera une chute à la sortie de l'avion, trouvera aussi la mort, à seulement 39 ans. Elle écrit The Year of Magical Thinking et Blue Nights sur le sujet. Écrit aussi une pièce avec David Hare qui sera jouée par Vanessa Redgrave.
Son écriture avait une grammaire cinématographique. Elle avait vécue, gonzo, ce qu'elle écrivait. Chaque fois que j'entends, Heartbreaker des Rolling Stones, et les lignes a ten year old girl on a street corner, sticking needles in her arms, she died in the dirt of an alleyway, her mother said she had no chance, no chance, je pense à cette fille de 5 ans, à Haight-Asbury, dont la mère lui avait administré du LSD dans Slouching Towards Bethlehem. La décadence lui était viscérale. Elle ne voulait pas rêver le monde, elle voulait l'exposer dans sa toute sa beauté, sans jamais négliger son horreur.
De son propre aveu, elle écrivait afin de comprendre sa propre tête.
Ce que je fais parfois aussi, ici.
Son "je" rejetait tout sentimentalisme. Ça n'aurait jamais trouvé sa niche sur les ondes de TVA. Radio-Québec, surement. Criterion, absolument. Il ne fallait plus vivre d'impressions disait-elle, trop tard dans sa vie, après les avoir écrites toutes les années 60. Donald Trump a construit son mouvement politique à partir d'une collection de furies préfabriquées. Elle nous en avait avisé au préalable dans ses écrits.
Elle nous avait parlé de poisons. Elle avait compris les possibles de la décadence. Même si issue du coin des rêves mielleux d'Hollywood. Où elle co-signera aussi du scénario.
C'est une Femme tout simplement formidable qui s'est éteinte, à 87 ans, le 23 décembre dernier.
Ces écrits, heureusement restes. Ces portraits sont aussi incarnés, de nos jours, plus que jamais.
L'égo se porte bien sur cette planète.
Son neveu, le comédien Griffin Dunne, offre un documentaire fort intéressant sur sa tante, sur la plateforme Netflix, appelé The Center Will Not Hold.
It does not.
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