Chaque mois, dans ses 10 derniers jours, tout comme je le fais pour le cinéma (dans ses 10 premiers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu), je vous parle de l'une des mes trois immenses passions: la littérature.
Lire c'est choisir d'habiter un(e) autre. C'est explorer l'univers d'autrui, de s'ouvrir sur un nouveau monde, de voyager à peu de frais. C'est accepter de nouvelles idées, de nouvelles visions, les confronter parfois. C'est comprendre autrement. C'est choisir de vivre sur un rythme différent. C'est respirer autrement.
Et respirer, c'est vivre.
MADAME BOVARY de GUSTAVE FLAUBERT
Ironie et finesse.
La narration de ce roman de 1856, son premier, est étrangement très moderne. En effet, elle change de perspective sans crier gare. Une mystérieuse personne extérieure nous raconte la première partie. On pourrait croire au témoignage d'un copain d'école de Charles Bovary. Puis, on passe aux monologues intérieurs de Charles. Avant de passer à ceux de Emma, Léon et finalement Rodolphe.
Cette chronique des moeurs de province nous expose les envies d'évasions d'une Femme vivant au dessus de ses moyens fuyant les banalités et le vide de la vie en province. Un mois et demi après sa sortie, l'ordre moral public attaquait l'auteur pour obscénité. Penser le cocufiage était pêché. Bien entendu. Gustave a été trouvé non coupable et la publicité a fait de son livre un rapide best seller. Et la structure moderne de la présentation de son récit a fait école. Fini la narration unique.
Bien que Flaubert ait souvent dit que "Madame Bovary, c'est moi!", c'était surtout pour protéger un ami d'études, un docteur, qui avait vécu le type de tourments émotifs présentés. Il dira même que rien de l'amour ne se trouve dans son livre, et qu'il n'y avait mis aucun de ses propres sentiments. (Cette fois, probablement afin de protéger son propre mariage).
La structure narrative n'était pas amateure, elle avait été calculée. Des collègues médecins avaient suggéré à Flaubert d'écrire son histoire "de la manière normale". Mais l'auteure insistait pour parler de l'ennui et la banalité autrement que par du "traditionnel", ce qui pouvait aussi faire glisser le récit vers le banal et ennuyeux.
Un peu comme Jerry Seinfeld et Larry David, plus d'un siècle plus tard, Flaubert voulait écrire un livre profond à propos de rien. Gustave devenait alors le premier romancier non figuratif. Le réalisme était d'ailleurs un point de contentieux en cour puisqu'on disait que l'art lyrique de Flaubert attaquait la décence.
Emma Bovary sera considérée comme l'incarnation du romantisme, mais on pourra aussi lire et comprendre les mécanismes intérieurs du romantisme, les états mentaux, les effets sentimentaux. Emma n'a pratiquement aucune relation avec les réalités du monde extérieur. Plusieurs disent qu'il s'agit d'une critique de la bourgeoisie, ce qui n'est pas complètement faux, puisque Gustave la méprisait et qu'il était d'avis que ses personnages avaient des traits de caractères plutôt laids. Des inclinaisons malsaines. Établissant un ravin entre leurs illusions et la réalité. Une distance entre le désir et son épanouissement. Chabrol et Isabelle ont fait quelque chose de très intéressant autour de tout ça en 1991 et Sophie Barthes a refait, parce qu'on aime beaucoup (trop) refaire, en 2014 avec Mia Wasikowska dans le rôle titre. Ça avait aussi été fait en 1949. En 1947. À la télé, en Inde, et en tasse.
Bien qu'une tragédie, c'est aussi plein d'humour et de sarcasmes. Une scène de visite d'église à la Cathédrale de Rouen est particulièrement amusante et extrêmement habilement amenée. Plus romantique et coquine est aussi cette discussion chuchotée pendant le discours ennuyeux du vice-préfet entre Rodolphe et Emma dans leur loge. Amusante et fine scène. Peu de descriptions des traits des personnages, mais un portrait clair de l'environnement dans lesquels ils baignent.
Un excellent tourment intérieur à lire jusqu'à la dernière phrase.
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