mardi 2 novembre 2021

Mortimer Lyon Sahl (1927-2021)

 "Washington could'n tell a lie, Nixon couldn't tell the truth, Reagan could'n tell the difference"


Avant décembre 1953, les humoristes sur scène suivaient un style bien défini. On déballait son sac à blagues, à la ligne. Les unes après les autres. Bien souvent, on guidait le spectateur au roulement d’une batterie toute simple qui se terminait sur un coup de cymbale afin de suggérer quand rire.

Les sujets restaient largement peu controversés (à moins d’être une belle-mère). Si Bob Hope glissait une blague plus politique, elle restait narquoise, innocente, inoffensive. En changeant le nom du politicien, du party, de l’équipe sportive, de la personnalité locale, selon les territoires de présentations de spectacles, on faisait rire tout le monde et on pouvait plaire à tous les mouvements politiques. C’était aussi avant la télévision et les réseaux sociaux. On pouvait trainer le même matériel sur de nombreuses années avec de minimes variations.


Après décembre 1953, tout ceci changerait pour toujours. Presqu’entièrement grâce aux efforts du même homme, qui semblait si peu en confiance, avec son journal en main, sur scène. Mort Sahl allait changer la manière de livrer la comédie à jamais.

Né à Montréal en mai 1927, avec le cinéma parlant, il était normal qu’il eût voulu en vivre. Sa famille déménage à Los Angeles parce que papa veut y devenir écrivain à succès. Il sera plutôt reporter des scènes en cour de justice, pour le FBI. Mort, pour sa part, dès ses 14 ans, choisit de se porter volontaire dans l’armée qui entre en guerre, en 1941. Il ment sur son âge. Ça ne durera que 2 semaines car maman découvre la chose, ne s’en amuse pas, et évente le secret. Ce qui n’empêchera pas Morty, dès l’année suivante d’entrer la Air Force. Mais l’armée, il n’aimera pas. Et vice-versa. Il en sera très critique, à sa sortie, dès 1947. Il en rira souvent sur scène. Il fréquente l’Université et étudie en ingénierie des villes et et en gestion de celles-ci. Il en est diplômé mais choisit de tenter sa chance comme acteur, comédien, auteur.


Avec très peu de succès à ses débuts. Il choisira donc de prendre le micro et de transformer ses pièces de théâtres comiques, en monologues. Herb Caen, journaliste de San Francisco, aime beaucoup ce qu’il livre sur scène et en glisse de bons mots. De jeunes Lenny Bruce, Woody Allen, John Cleese, deviennent des fans inspirés de Mort Sahl. Le public est aussi piqué de curiosité. Cleese dira que Sahl était aussi étincelant pour l’Angleterre qu’Elvis l’était devenu. C’était un choc pour les humoristes en place comme Milton Berne ou Henny Yougman. Sahl racontait des histoires. Devenait intime. Conversait avec la foule. Ne récitait rien. Il jetait un œil sur le journal, commentait ce qu’il venait de lire. Avec un flair redoutable. Toujours comique. Et comme le journal amenait des choses différentes tous les jours, le spectacle pouvait s’improviser différemment chaque fois. La combinaison était gagnante. Le public n’entendait même pas la même chose deux fois de suite. Sahl offrait du jazz à une époque le jazz allait atteindre le zénith de sa popularité.


Il avait de cibles favorites. L’armée à ses débuts, Donald Trump vers sa fin. Il était commentateur de son époque. Et comme il attaquait souvent la conformité humaine, le rebelle en chacun de nous tous y trouvait son compte. Il sera le premier à présenter une autre fameux rebelle, Georges Carlin. Dès qu’il flairait l’hypocrisie, vous deveniez une cible. Voilà pourquoi, un jour il racontait des blagues pour John F. Kennedy, qui l’aimait beaucoup et vice-versa, mais une fois élu, n’hésitait pas à le prendre comme cible. Au début des années 60, il était au sommet de sa popularité. On le voyait dans les collèges, dans les boites de nuit, à la télévision, sur les campus partout aux États-Unis et au Canada. On le voyait même à Broadway et animer la soirée des Oscars. Il sera le tout premier humoriste à faire la couverture du Times Magazine. Il sera aussi acteur, un peu. Enregistrant parmi les premiers ses spectacles sur disques, il sera le tout premier à gagner un Grammy pour cette nouvelle catégorie de prix.


À la mort de Kennedy, il meurt lui aussi, en partie. Devenant obsédé par la commission Warren, en faisant le sujet principal de ses spectacles à une foule en difficile deuil, il s’aliène une large partie de ses admirateurs. Il travaillera même en Nouvelle-Orléans, avec le procureur Jim Garrison, sur l’affaire Clay Shaw, et la théorie du complot qu’il développe autour de l’assassinat. Il perd son public. Toute actualité n’est peut-être pas toujours bonne à rire. Il ferait une sorte de retour dans les années 70, se servant du Watergate, davantage risible. Il n’arrêtera jamais, la pandémie, seule, le freinant.


Il a publié en 1976 une autobiographie, Heartland, à écrit un one-man show pour Broadway, Mort Sahl’s America, 12 ans plus tard. Il a tourné quelques documentaires sur la comédie, a fait des apparitions, ici et là, a gardé de nombreux admirateurs qui ont fait naître un métier où on pouvait révéler une partie de son intimité réinventée sur scène. Il a eu de nombreux hommages de son vivant. Il le méritait grandement pour ces portes qu’il a ouvertes largement.

Son disque de 1955, At Sunset, sera placé dans National Recording Registry of the Library Of Congress en 2011.


Iconoclaste davantage intéressé par la vérité que par l’idée de garder le public confortable dans son siège, il a probablement payer le prix de son implication dans son époque.

La comédie comme on la connait aujourd’hui, sur scène, lui doit beaucoup.

Mort Sahl est décédé à l’âge de 94 ans, il y a exactement 7 jours.

Son héritage est majeur.

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