samedi 5 décembre 2020

La Porte d'en Avant

"This is your shadow on my wall"
-D.J . 
 Comme mes journées débutent autour de 5 heures du matin, j'ai pris l'habitude, pour ne pas éveiller inutilement toute la maisonnée, de passer par la porte de côté de la maison pour en sortir . Une porte qui ouvre et ferme sur le garage et dont une seconde porte donne accès à la cuisine et à la maison. 

En revenant du travail, très souvent, j'entre aussi par cette même porte. Utilisant assez peu la porte du devant, au final. N'ayant jamais complètement reconnue comme mienne la maison qu'on habite, je m'amuse quelques fois à penser que j'entre par la porte de côté parce que je n'y suis qu'invité. Mais la vérité est ailleurs. J'y dépose mes bottes en cap d'acier, ma boîte à lunch avec ce qui reste dedans au frigo du garage et mon sac de travail.  Je redeviens moi. 


Nous venons de terminer une semaine qui aurait pu se résumer en trois mots simples. 

Freine ton Enthousiasme.    

Mercredi de cette semaine, je venais de passer deux superbes jours de travail dont je rêvais que ça en soit toujours ainis. Ce même mercredi allait passablement bien aussi, avant que je ne découvre, à la Guy Lafleur, que j'avais l'exact même salaire que le tout dernier chauffeur que nous venions d'engager. Moi, avec presque 4 ans d'expérience au même endroit, qui suis à la fois chauffeur, importateur de données, réquisitionneur de pièces, superviseur de commandes spéciales, moi, dont les tâches ont beaucoup changé depuis le 4 octobre dernier, je gagne le même montant d'argent que le kid de 20 ans, qui a trois semaines dans le corps avec nous, ET QUE JE MENTORISE! 

Je ne suis pas (assez) intéressé par l'argent, mais là, j'ai compris ma valeur.

J'ai tout de suite été en parler avec mon boss, qui m'a fait comprendre que la décision venait du bureau-chef de Québec et que je serais augmenté en janvier 2021, mais dans les trois mois qui termineront l'année, je serai tout simplement exploité. On me faisait comprendre que je n'étais pas tellement indispensable au travail et donc, voilà, ça m'a débiné et je refais mon CV. Mais comme c'était le même jour que la gala annuel de la banque de ma conjointe, je n'ai pas laissé ce moment capitaliste contaminer le reste de ma journée. Du moins, pas tout de suite. 


Le gala de la banque de ma conjointe récompense les meilleurs planificateurs financiers en province. Auparavant, on récompensait les meilleurs de leur profession avec une croisière en mer, accompagné(e) du/ de la partenaire de vie pendant une semaine en janvier. L'amoureuse l'a gagné 4 fois en 10 ans. A fait 4 croisières payées par sa banque ensemble. Mais vous comprendrez que la gala de cette année allait être différent. On l'a suivi ensemble, caméra de l'ordi fermée, virtuellement, Gregory Charles nous guidant, Charlotte Cardin nous chantant ses petits bijoux, Pascal Siakam nous invitant à suivre nos rêves. C'était froid, mais intéressant tout de même. Mon fils s'est joint à nous, maman était heureuse. 
On a deviné tous les hauts dirigeants par les lèches-cul qui leur disaient merci 32 fois après un commentaire dans le studio chat. 

Madame a gagné une cinquième fois! Je la vois travailler comme moi, trop dur, trop longtemps, à des moments impromptus, manquant de sommeil ou étant rattrapée par celui-ci dans un divan et devant une télévision qui ne demandait pas ça. Je la vois manquer de souffle et avoir l'impression de pas avoir de vie. Elle travaille extrêmement fort pour en arriver à se mériter de tels honneurs 5 fois en 10 ans. Elle est remarquable. Et on la remarquée. Mais elle, on la paye. 

Cette année, selon ce que l'on a compris jusqu'à maintenant, pour remplacer la croisière, elle se méritera...une conférence d'un des grands bonzes de sa banque...


Même les moins cyniques ne pourraient pas y voir autre chose qu'une punition. On a pas voulu croire ça, on en a pas vraiment parlé le soir même, on attend des détails sur ce qu'elle se mérite. De l'argent on pense. Mais le soir même, outre mon fils et moi, qui ont hurlé de joie et lui avons sauté au cou, la célébration a été relativement courte. Entre autre parce qu'elle ne savait pas se ravir d'avoir gagné... quoi?...outre l'estime de collègues, la fierté du devoir accompli, quelle surprise se méritait-elle aussi? On a jamais voulu parler de la conférence. Du travail comme cadeau? 
Sommes nous devenus si lavés du cerveau?

Mais le déni ne s'arrêterait pas là. L'amoureuse, qui avait même enfilé une jolie robe, des fois qu'il faille activer la caméra (mon fils et moi aurions eu l'air fou, on dévorait une lasagne mollement, mais nous savions que la caméra, devait rester fermée), l'amoureuse, dis-je bien, a passé toute la demie-heure suivante incapable de rester assise. Elle voulait constamment réinventer le moment. Le vivre autrement. Comme avant.

"Oh! c'est le fun, mais c'est pas pareil sans les collègues!

"C'est tellement bizarre sans l'ambiance du gala!"

"C'était pas une bonne photo de moi, c'était une vieille photo"


Bien assez vite, on était tous les trois sur nos téléphones à envoyer la nouvelle et à répondre aux félicitations, elle surtout. Mais elle ne se sentait pas dans le beat d'un party. Ce mercredi soir n'arrivait pas à prendre le rythme d'un party. Mon fils et moi on a tout tenté pour l'enthousiasmer, lui avons servi à boire, avons tenté de l'amuser, mais elle était ailleurs. Elle n'a réalisé certaines choses dites que bien plus tard dans la soirée. Ses sens était éparpillés. Hyper occupée à vouloir redéfinir, en temps réel, ce qu'elle vivait, aussi en temps réel. Le moment de gloire devenait pathétique. Trempé d'une certaine désolation dans la joie. Et plus le mot conférence me collait au cerveau, plus je me disais qu'on était un ostie de beau couple qui avait buché comme des animaux toute l'année et qui, comme récompense, au final, avions assez peu pour nous se sentir enthousiasmés...

On s'est couché heureux...mais pensifs...se demandant si on avait encore le droit de sortir et d'entrer par la porte d'en avant avec dignité. Même en faisant all the right moves. En étant sincères, honnêtes, travaillants, généreux.  

Good guys finished last était un refrain qui dansait sur notre perron. Un refrain pour moi, en tout cas. C'est peut-être pour ça finalement que j'entre et sors par la porte de côté. 

Pour tricher le refrain. 

Puis, le lendemain, le Premier Ministre Legault "annulait" Noël. Ça ne changeait absolument rien pour nous. On recevait le père de ma conjointe le 24, on le fera encore si il le souhaite. Un homme n'est pas un rassemblement. C'est plus problématique pour mon fils et ma fille qui, avec leurs belles-familles respectives, avaient des projets de groupes qu'on tente de réaménager. Le 25, on zoomait Noël avec la mère de l'amoureuse et le 26 ou le 27 on zoomait Noël avec ma mère. On avait déjà pris les bonnes décisions. 
On prendra fièrement la porte d'en avant pas mal plus souvent dorénavant.

Sa banque est la plus riche au pays, mon entreprise a fait des profits de 133% cette année...

On est pas des vis, calisse. On est le ciment de vos immeubles. 

En ouvrant fièrement notre porte devant on verra assez bien, bientôt, qu'un nain, assis sur la plus haute marche, est plus haut qu'un géant assis sur la plus basse.  

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