Cette semaine, un pervers riche et connu, un agresseur d'une autre époque, a été blanchi des accusations de prédations sexuelles qui pesaient contre lui. Il y en a d'autres, accusations contre lui. Il gagnera probablement ces causes aussi.
Les mots sont une arme dangereuse qui peuvent se retourner fatalement contre vous. Les mots dits et les mots tus.
Si vous avez vu l'excellent film Ridicule, de Patrice Leconte, cadeau offert en 1996, il y a cette superbe scène réglant le sort de l'abbé de Vilecourt, personnage merveilleusement interprété (tout le film est magistralement interprété) par Bernard Giraudoux, en une seule ligne mal reçue.
Annick Charette avait entre 19 et 20 ans en 1979. Elle a été piégée dans la toile d'araignée de Gilbert Rozon, hommes d'affaires qui, on l'apprendra plus tard, tissait ses toiles ponctuellement ici et là. Au gré de ses pulsions de prédateurs. Ils avaient tous deux, il y a 40 ans, passé une soirée dans une discothèque et terminé la nuit dans un chalet des Laurentides. Rozon l'y avait amené sous un faux prétexte. Contrainte d'y coucher, c'est ce qu'elle a fait. Là, peut-être même avant, elle a rejeté les avances de Rozon qui y dormait aussi, dans une autre chambre. Au matin, il s'est glissé dans sa chambre à elle, pendant qu'elle dormait, et l'a entrepris sexuellement. Contre son gré. Elle ne s'est pas assez débattue, selon la juge. Elle n'a pas assez résisté. Elle n'a pas assez dit non.
Quand le personnage de Giraudoux dit qu'il pourrait, si souhaité, prouver au roi que Dieu n'existe pas, il confirme en même temps qu'il ne croit probablement pas en Dieu lui-même. Où qu'il prend ce concept extrêmement à la légère. Ce qui est odieux au yeux du roi. Mais notre système de justice semble dans la position de Giraudoux. Et prendre le viol, à la légère.
Quand, toute ensommeillée, Annick n'arrive pas à trouver la force de retirer cet homme qui l'agresse de sur sa personne, elle est forcée de s'abandonner à sa proie. Ce non, muet, est un rappel qu'une femme peut être violée sans résister. Une "vraie" victime de viol ne doit pas toujours se débattre, c'est un mythe de penser une telle chose, un stéréotype. Quand vous savez l'autre nettement plus fort physiquement, ou encore capable de prendre un couteau qui traîne si il est freiné, à quoi bon tenter de se débattre? Ne reste que le cri. Et si vous êtes seule dans un chalet sans voisins dans le Nord, l'araignée vous a embobinée.
C'est abjectement ce qui s'est passé. Plus abject encore, son absolution de cette semaine.
C'est extraordinairement compliqué de penser ainsi. Qu'il ne faille pas nécessairement se débattre. Presqu'une utopie.
Quand la juge Hébert a déclaré Rozon non coupable cette semaine, parce qu'il y avait doute raisonnable, j'ai pensé aux Courageuses dont Patricia Tulasne se trouve parmi eux. Celle-ci a déjà dit avoir pensé lorsque violée, les mots assassins "Ce qui est le plus simple pour moi, c'est de me laisser faire, ça va durer 10 minutes, puis il va s'en aller après et je vais en être débarrassée".
Ce n'est pas à moi de dire si c'est une erreur d'avoir pensé ainsi. Mais sans être un spécialiste du droit, je sens s'installer le prétendu doute raisonnable. Pouvait-il complètement savoir, encore moins si ils étaient intoxiqués, qu'elle n'était plus participante volontaire si elle ne résistait plus?
Ce que personne ne semble comprendre de nos jours est qu'un moment d'ardente passion nécessite l'écoute mutuelle de deux voix intérieures. Si les deux voix ne disent pas la même chose, rien ne devrait se produire. Lorsqu'il y a viol, une des deux voix est brimée. On sait qu'on est tout juste au pied de la montagne sur ce sujet. Annick veut donner une voix aux victimes.
On fait face à la côte. La décision de cette semaine place un piano sur les dos de toutes les Femmes prêtes à gravir cette côte où les hommes sont au sommet depuis toujours.
Annick Charette est formidable car depuis le jugement, elle s'est disposée à guider absolument toutes les victimes de viol dans le processus qu'elle a vécu. Un second traumatisme dont elle souhaite se sortir grandie.
Et qui en fera grandir beaucoup d'autres.
Il ne fait aucun doute dans les esprits que Gilbert Rozon est un vulgaire vice.
Reste à le prouver. Et à porter les bonnes bottes pour monter la côte.
Car c'est une côte. Annick vous le dira. Soyez fortes des mots.
C'est une Femme admirable qu'on a découvert cette semaine. Qui a aussi souligné que l'autre était bel et bien un monstre. Crée par l'argent.
C'était une semaine parfumée d'atroce, mais aussi avec un phare inspirant dans la nuit.
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