mercredi 2 décembre 2020

Cinema Paradiso***********************Three Women de Robert Altman

 Chaque mois, dans ses 10 premiers jours, tout comme je le fais pour la littérature (dans ses 10 derniers) e
t tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu), je vous parle de l'une des mes trois immenses passions: Le cinéma. 

J'y ai étudié, travaillé, j'en suis sorti, mais le cinéma ne sortira jamais de moi. 


Je vous parle d'un film dont j'ai aimé la réalisation, les interprètes, le scénario, la cinématographie, la musique, le montage, le concept, le rythme, le sujet, souvent, tout ça à la fois. Je vous parle d'un film dont j'ai aimé tous les choix.   

THREE WOMEN de ROBERT ALTMAN

Sissy Spacek et Shelly Duvall ont toutes deux 28 ans en 1977. Pourtant, dans le 14èm film de Robert Altman, la première paraît en avoir 16 ou 17 et l'autre, effectivement autour de 10 ans de plus. Le film, tiré d'un rêve qu'aurait fait Altman, parle de la mystérieuse relation entre une nouvelle employée (Pinky Rose/Sissy Spacek) et celle qui doit lui montrer les rouages du métier de thérapeute (Millie Lammoreaux/Shelley Duvall) dont les identités deviennent de plus en plus brouillées, au point de peut-être tout simplement s'interchanger, dans un centre pour personnes âgées en difficultés physiques, dans un désert californien. 


Altman a concédé qu'il avait été fortement inspiré du Persona d'Ingmar Bergman pour tricoter ce délicieux film qui se décline comme un rêve récurrent dans lequel on arrive jamais à trouver une fin appropriée. Une énigme. Le film d'Altman est une énigme. On y retourne avec fascination.


Spacek, Duvall et Janice Rule incarnent les trois Femmes de ce film, habitant un même complexe d'appartements (à 55$ par mois!!!) dans le désert californien. Pinky & Mille deviennent co-locataires. Rule est Willie, propriétaire enceinte du complexe d'appartements, peintre se déplaçant dans le film dans un silence triste, se gardant volontairement à l'écart des autres. Elle peint des personnages étrangement menaçants d'hommes et de femmes au fond de piscines et peu partout.


Il y a bien des hommes dans le film, mais ils ne font qu'errer ici et là. Un mari ne se définissant que par les motos, les fusils et la bière. Un docteur semblant toujours désabusé. Des gardes malades plus ou moins attentifs, qui semblent tous l'objet de la convoitise de Millie. Celle-ci semble toujours en train de se préparer pour un rendez-vous galant qui n'arrive jamais. 


Dès le départ, il semble clair que les trois personnages sont représentés par trois types de Femmes très souvent jouées au cinéma ou au théâtre. Willie est la maman, errant dans le désert dans un monde qui lui semble exclusif. Millie est la légèrement superficielle consommatrice, étudiant les modes dans les magazines, décorant selon les tendances, coquette, calculant ses repas par le temps que ça lui prend à le faire. Partageant sans cesse ses recettes. Pinky atterrit dans leur monde comme une enfant pas encore formée adulte. Elle fait des bulles dans la liqueur qu'elle boit, court pour rien, fait des grimaces dans le dos de l'autorité, s'amuse d'un tipi ou d'un mini-golf.  Elle dit de sa co-loc et mentor, Millie, "Tu es la personne la plus parfaite que je n'ai jamais rencontrée". Elles sont toutes deux du Texas. 

La première partie du film se concentre sur Millie et l'intégration qu'elle fait de Pinky au travail et dans son appartement. Millie tente, elle-même de s'intégrer partout, mais elle est largement ignorée ou moquée en cachette. La pauvre Millie s'impose entre deux hommes dans un BBQ, mais les deux hommes parlent tout simplement au travers d'elle. Elle semble toujours attirée par les miroirs, ne serait-ce que pour vérifier si elle existe vraiment. 


L'eau est récurrente dans le film. Le plan d'ouverture offrira du mouvement liquide dans le bas de l'image comme du liquide amiotique foetale annonçant une naissance. Les premiers contacts avec les personnes âgées et le premier contact entre Millie et Pinky se passent dans l'eau d'une piscine. Les images sinistres de Willie sont peintes au fond d'une piscine vide. À un moment pivot du film, Pinky y plonge et en est sauvée dans l'urgence. 


Dans Persona, de Bergman, il y a ce moment de violence en plein milieu qui agit comme point de bascule reconstruisant aussi l'aspect narratif jusqu'alors compris.  


On comprend vite le glissement des identités. Les effets de dualité sont nombreux. Des jumelles qui intimident "Pinky" Rose. Dont le vrai nom est Mildred. Le vrai nom de Millie étant aussi, Mildred. Millie et Millie et Willie. À un certain moment, Pinky poinçonne la carte de travail de Millie "par erreur".  Le centre de thérapie semble dirigé par un homme efféminé et par une Femme au tempérament brutalement masculin. Quand Millie se choque contre Pinky, un miroir se trouve entre les deux personnages, doublant Millie, fâchée. Il y a cette scène étrange ou deux personnes (trop) âgées viennent au chevet de Pinky se prétendant ses parents, ce que Pinky réfute. Lovely weird


Je ne détaillerai pas davantage afin de ne pas divulgâcher la suite, mais la confusion chez Shelley Duvall est brillamment interprétée. Spacek est aussi, comme partout dans sa carrière d'ailleurs (à mes yeux), formidable.  Dès ses premières scènes, immobile au centre de thérapie, alors que la dynamique de l'endroit s'active, on comprend le tourbillon qui fourmille dans son esprit.

 L'étrangeté sera partout distillée. Comme dans un rêve. 


Willie est pratiquement le fantôme des deux autres. La maternité guettant toute Femme. Pinky arrive dans le désert dans réel passé et sans complète identité. Elle volera celle de Millie, et les deux seront peu à peu absorbées par Willie. 

Le film est circulaire. Cruel par moments. Duvall et son rapport à la cruauté serait le sujet d'une chronique entière à vous refaire. La cinématographie de Chuck Roscher est intéressante, la musique jazz d'avant-garde de Gerald Busby encore davantage. 


Comme dans un songe*, où on teste de nouvelles identités, où on prête à nos amis et connaissances des rôles improbables, où on se retrouve dans des emplois qui nous sont nouveaux, où les règles et codes sociaux semblent brouillés, ici le film agissant tel un rêve, semble partagé entre les trois Femmes. Chacune imaginant les deux autres et n'ayant pas ce que les deux autres possèdent. Avec des hommes inconséquents comme figurants. 


Le mystère commun offrant Willie, prisonnière d'une triste résignation, Pinky avec avide appétit émotif et Millie, la pauvre Millie, sacrifiée, parce qu'elle ne saurait pas comment se placer autrement en société autrement. 

La compagnie de distribution de films, nageant dans les giga-surplus de Star Wars, pouvait se permettre de risquer un projet plus artistique qui ne ferait peut-être pas ses frais (il ne les as pas faits)  proposé par Altman en 20 minutes, le lendemain matin du rêve qu'il avait alors fait. 


Planant. Plaisant. 

*Le film offre aussi une très intéressante séquence de rêve impliquant les trois Femmes. 

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